Dialogue interpreting. A guide to interpreting in Public Services and the Community
Rebecca Tipton & Olgierda Furmanek (2016)
Routledge, 295 pages
Reviewed by: Natacha Niemants
Le volume de Rebecca Tipton et Olgierda Furmanek s’impose aussi bien pour l’ampleur du sujet abordé que pour la qualité de ses approfondissements, deux éléments fondamentaux pour une collection comme la Routledge Interpreting Guides, destinée aux chercheurs, aux interprètes, mais aussi à ceux ou celles qui bénéficient de leurs services.
Le titre choisi par les autrices, dont l’intérêt partagé pour l’interprétation de dialogue a comblé la distance entre deux universités situées de part et d’autre de l’océan Atlantique, nous laisse imaginer le contenu d’un ouvrage qui couvre cinq domaines professionnels : la justice, la santé, l’éducation, les services sociaux et la religion. La sélection nécessaire à toute analyse systématique et rigoureuse ne perd pas de vue la complexité d’une profession qui touche également à d’autres secteurs, comme les affaires, le tourisme, les médias, le sport et les conflits, que les autrices ne manquent pas de mentionner dans l’introduction comme dans la conclusion.
Le volume se compose de sept chapitres affichant des notes et des bibliographies séparées, ainsi que de quatre annexes, d’un glossaire et d’un index des noms et des concepts cités au fil des pages. La méthode appliquée pour organiser les contenus est déclarée dès le début : outre à situer la démarche suivie et la perspective envisagée, l’introduction explicite les trois principes qui sous-tendent tout ce qui s’en suit. D’abord, l’holisme, qui permet de dépasser l’idée restreinte de compétences et d’envisager l’interprétation dans le contexte plus vaste des services publics où elle est exercée ; ensuite, la réflexion, qui concourt au développement personnel et professionnel des interprètes et de ceux qui souhaitent le devenir ; enfin l’engagement professionnel actif, où la formation individuelle va de pair avec l’implication dans une communauté de personnes pouvant tirer mutuellement profit les unes des autres. L’introduction présente également les activités qui seront disséminées dans chaque chapitre et clarifie le sens d’une tripartition qui vise à combler l’écart entre le monde académique et le monde professionnel, en couvrant des questions à la fois théoriques et pratiques que les interprètes rencontrent fréquemment dans leur vie professionnelle –preuve en est la kyrielle d’études empiriques sur l’interprétation de dialogue dans plusieurs contextes institutionnels (cf. Mason, 1999 ; Baraldi et Gavioli, 2012) – mais qui ne sont généralement pas considérées dans leur formation initiale.
Dans le premier chapitre, Tipton et Furmanek jettent les fondements d’une formation professionnelle continue (en anglais CPD, Continuing Professional Development) et s’attardent sur les quelques points de transition dans la carrière d’un(e) interprète, qui quitte la classe pour entrer dans une réalité professionnelle ayant souvent peu à faire avec ce à quoi on l’a préparé(e). Comme le soulignent les deux autrices, ‘(i)dealized approaches to interpreter education, where everyone patiently waits his/her turn to speak and all parties implicitly understand the interpreter’s position are routinely challenged by service providers who thrust the interpreter into the spotlight in unanticipated ways’ (p. 17). Le CPD implique beaucoup plus que le maintien et la mise à jour des compétences développées dans la formation initiale : ‘it concerns deepening understandings of the many facets of human-to-human communication in complex social, institutional and organizational systems’ (p. 17-18). C’est en partant du constant que les interprètes manquent souvent d’indications quant à la manière d’y parvenir, que Tipton et Furmanek nous proposent une approche réfléchie et systématique au développement professionnel, permettant de planifier l’entrée dans la profession, d’évaluer un profil en évolution permanente et de miser sur toutes les ressources disponibles pour cultiver les cinq dimensions principales de la performance d’un(e) interprète, à savoir l’engagement, la visibilité, la transparence, la coordination et la co-construction. Le chapitre est parsemé de questions stimulant à s’interroger sur son propre parcours professionnel, ainsi que d’activités utiles à passer de la réflexion à la pratique, et vice versa. Comme tous les chapitres qui suivront, il se termine par la liste des références bibliographiques citées, accompagnées de quelques lectures d’approfondissement.
Une fois posés les jalons permettant de mieux saisir le sens du volume, le deuxième et le troisième chapitre nous introduisent dans le domaine de la justice. On se concentre d’abord sur la justice pénale, et plus précisément sur la police judiciaire et les tribunaux, en basant tant les informations présentées que les activités proposées sur la littérature et les lois existant au niveau international. Plusieurs extraits d’interactions authentiques viennent également à l’appui du deuxième chapitre, qui se clôture par une section consacrée à l’utilisation des nouvelles technologies. Le chapitre suivant correspond à un second volet en matière légale et se focalise sur les procédures d’asile. Ce sous-domaine de l’interprétation en milieu judiciaire voit la participation de plusieurs catégories de migrants, de ceux qui ont volontairement laissé leur pays d’origine à ceux qui ont été forcés de le quitter. Il en découle une panoplie d’événements institutionnels qui exigent de l’interprète une connaissance approfondie des lois et des conventions en la matière, ainsi que des éléments qui concourent à la réussite de l’entretien avec un demandeur d’asile. C’est par le biais de plusieurs lectures et exercices que les deux autrices préparent les débutants à ce domaine d’activité et aident celles ou ceux ont déjà franchi ses portes à se doter de la résilience nécessaire pour continuer à y travailler, nonobstant les traumatismes et les souffrances qui le caractérisent.
Un autre domaine sur lequel nous sommes invités à réfléchir occupe le quatrième chapitre, consacré à l’interprétation en milieu médical. Tipton et Furmanekf ont encore preuve de grande ouverture : elles vont bien au-delà de la dimension linguistique et prennent en compte d’autres facteurs qui influencent la performance de l’interprète en ce milieu, en misant aussi bien sur la littérature scientifique que sur des interactions authentiques. Les autrices présentent d’abord la structure de la rencontre médicale, en préparant ainsi les interprètes à côtoyer les patients étrangers tout au long de leur parcours de soins, y compris dans l’entre-deux qui sépare une première visite médicale de la visite suivante (cf. ‘in between events’, p. 122). Elles s’attardent ensuite sur quelques éléments clés dans le milieu médical, comme le temps de la consultation, le lien de confiance, la co-construction de l’entretien et les rôles (parfois conflictuels) que l’interprète peut être appelé(e) à jouer. Il importe de noter, à cet égard, que ces rôles ne sont pas exercés dans un vide social, mais dans le contexte d’une interaction qui implique d’autres participants (Wadensjö, 1998). C’est pourquoi, les autrices prennent également en compte les attentes de ces autres participants par rapport aux frontières de la profession d’interprète, en prônant un modèle d’intervention par étapes (en anglais incremental et/ou tailored) qui s’adapte aux exigences changeantes des intervenants et en décrivant les conflits qui peuvent survenir lorsque leurs attentes sont particulièrement divergentes et les frontières de leurs rôles largement dépassées. Ce chapitre cherche enfin à définir les compétences spécifiques au milieu médical et à dévoiler les raisons pour lesquelles, tout en étant le domaine à plus forte croissance dans les services publics, celui-ci demeure l’un des moins reconnus et des moins payés, où les interprètes ad hoc se taillent encore, souvent, la part du lion.
Les trois derniers chapitres sont consacrés à autant de domaines généralement moins traités par la communauté scientifique, mais pas pour cela moins intéressants et prometteurs. Plus particulièrement, le chapitre cinq porte sur l’éducation, en partant des synergies qui existent entre l’interprétation en langue des signes – où la littérature dans le milieu éducatif ne fait certes pas défaut – et l’interprétation en langue(s) orale(s) – où le nombre de publications en la matière est sans nul doute plus limité. Le chapitre brosse un tableau complexe, en décrivant les traits typiques de la communication avec des enfants défavorisés et leurs familles, ainsi que l’éventail de dispositifs qui peuvent être mis en place pour l’améliorer. Une attention particulière y est consacrée aux entretiens entre parents et enseignants, ainsi qu’à l’évaluation des besoins éducatifs particuliers et aux procédures de recrutement des interprètes.
Le sixième chapitre aborde le domaine de l’assistance sociale, en explorant ses intersections avec le milieu médical et le milieu éducatif. Selon Tipton et Furmanek, ‘although many interpreting skills are transferrable between domains, social care presents specific challenges for interpreters and their institutional interlocutors, not least because of the level of risk experienced by Limited Language Proficiency (LLP) service users and the ethical implications of the interpreter’s involvement in systems designed to protect people’s welfare and social functioning’ (p. 203). Voilà pourquoi elles se concentrent sur des interactions impliquant des enfants victimes d’abus et demandant à l’interprète de sortir de son rôle habituel, pour prendre soin non seulement de la communication, mais aussi d’un bien-être qui devient, dans ce contexte, une responsabilité partagée. Ce chapitre touche également au secteur du bénévolat et des organisations à but non-lucratif, préparant ainsi le terrain pour le domaine qui fait l’objet du dernier chapitre et qui compte, pour la plupart, sur la bonne volonté d’interprètes semi-professionnel(le)s rendant volontairement service à leur communauté religieuse.
En effet, le septième chapitre est consacré à l’interprétation dans le domaine de la foi, en anglais faith-related interpreting, interpreting in religious settings, religious interpreting ou church interpreting, qui serait toutefois limité aux services rendus dans un bâtiment/rite chrétien et ne comprendrait donc pas ceux qui sont utilisés dans d’autres contextes non-chrétiens. Cette variabilité des dénominations trahit l’instabilité d’un domaine qui est loin de sa professionnalisation mais qui, selon Tipton et Furmanek, mérite, lui aussi, un peu d’attention. Tout d’abord parce qu’il ne s’agit pas exclusivement de tâches non-rémunérées accomplies par des fidèles pour servir Dieu et transmettre son message (p. 261). De plus, c’est un secteur où les professionnels peuvent tirer des leçons utiles du travail de leurs collègues non-professionnels ou semi-professionnels, qui construisent naturellement leur rôle sur la base de l’interaction et des attentes des participants et non pas sur la base des normes acquises dans un code déontologique. Pour le dire avec les mots de Downie (2014), que les autrices citent à la page 263 : ‘[P]erhaps this is a case where the professionals can learn from the naturals. In church interpreting, there is no way to pretend that interpreting can or should make itself invisible. There is an admission by everyone involved that a church service with interpreting is completely different to one without it. Rather than trying to erase this difference, many churches seem to want to celebrate it and use interpreting to the full’.
Une idée, celle de ne pas faire semblant que l’interprète n’est pas présent, qui ne manque pas de rappeler une autre œuvre citée par Tipton et Furmanek. Il s’agit du livre de Llewellyn-Jones et Lee (2014), où les auteurs formulent l’hypothèse que ‘dialogue/community interpreters can only help to normalize, or “oil the wheels”, of dysfunctional interactions between interlocutors who either can’t or can’t easily communicate with each other, by acting “normally”. If, instead, the “enabler” begins by replacing expected, culturally required, introductions with long descriptions of what they are about to do or by pretending they are not actually there (the cloak of invisibility) then this only serves to further de-normalise and, hence, inhibit the interaction’ (p. 9).
Les quelques remarques conclusives s’adressent au collègue interprète – tant le novice que le plus expérimenté – à qui les autrices rappellent le sens d’un ouvrage ne visant pas à remettre en question les normes existantes ni à en proposer des nouvelles. Leur livre cherche plutôt à sensibiliser le lecteur, et à promouvoir sa réflexion, sur les différentes méthodes, lignes directrices et perceptions de l’interprétation de dialogue, à la fois dans des domaines plus traditionnels et dans d’autres qui ne sont qu’à leurs premiers balbutiements. Les autrices tracent des pistes à suivre qui vont dans des directions variées, mais qui sont unies par une approche holistique au développement professionnel et par la confiance dans une collaboration intra- et interprofessionnelle accrue. En cela, l’œuvre est destinée à jeter un nouvel éclairage sur l’interprétation de dialogue et sur ses multiples facettes, en permettant au lecteur-interprète d’approfondir ses connaissances dans son domaine d’activité principal, ainsi que d’en découvrir d’autres qui sont censés se développer dans les années à venir.
Références
Baraldi, Claudio, and Laura Gavioli (eds) (2012) Coordinating participation in dialogue interpreting, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins.
Downie (2014) “Church interpreting and the philosopher’s stone”. Unprofessional Translation Blog
URL: http://unprofessionaltranslation.blogspot.it/2014/06/church-interpreting-and-philosophers.html (accessed 25 August 2014)
Lee, Robert, and Peter Llewellyn-Jones (2014) Redefining the Role of the Community Interpreter: The Concept of Role-space, Carlton-le-Moorland, UK, SLI Press.
Mason, Ian (ed.) (1999) Dialogue interpreting, Special Issue, The Translator 5, no. 2.
Wadensjö, Cecilia (1998) Interpreting as Interaction, London/New York, Longman.
©inTRAlinea & Natacha Niemants (2016).
[Review] "Dialogue interpreting. A guide to interpreting in Public Services and the Community", inTRAlinea
Vol. 18
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