GLOTTOPOL No 15 - janvier 2010
ORALITÉ ET ÉCRIT EN TRADUCTION
Numéro coordonné par Yves Gambier et Olli-Philippe Lautenbacher
Université de Turku, Finlande
Revue en ligne [url=http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/]http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/[/url]
L’opposition supposée et les différences entre l’oral et l’écrit ont fait l’objet de divers travaux en sociolinguistique, en pragmatique, en analyse de discours – que ce soit sur les variations et registres de langue, sur les productions orales, sur le changement linguistique, sur la communication médiée par ordinateur (avec les analyses de chats, courriels, SMS et blogs), sur les interactions homme-machine (avec le recours ou non à la reconnaissance et à la synthèse de la parole). Sans oublier les réflexions en didactique – que ce soit pour l’enseignement de la langue natale ou pour le français-langue seconde/étrangère, avec par exemple des études sur les rapports entre phonétique et orthographe, sur la prise de notes en classe, sur les commentaires à haute voix d’un texte, sur la rédaction collaborative, etc.
Notre projet s’inscrit dans une autre perspective, en cherchant à faire se rencontrer linguistes (au sens large) et traductologues. Il existe en effet bien des cas où les frontières présumées entre l’oral et l’écrit se brouillent dans la pratique quotidienne des traducteurs et des interprètes – ainsi quand on fait de la traduction à vue, quand on interprète auprès des tribunaux (du document judiciaire à l’interrogatoire), quand on traduit des pièces de théâtre, des bandes dessinées, des chansons rap, des romans où dialogues et discours rapportés se combinent avec la trame narrative, quand on traduit la littérature dite pour enfants, les littératures à tradition orale, les littératures désignées comme post-coloniales où se croisent langues et dialectes, quand on localise des jeux vidéo et sous-titre des films, des programmes de télévision (sous-titrage interlinguistique, en direct, intralinguistique), etc.
Des retraductions récentes en français de Hegel, de Dostoïevski…ont mis à jour la force de l’oralité dans des œuvres longtemps tenues pour majeures selon les canons de l’écrit conventionnel du système français; par ailleurs, des traductions à partir du français ont relevé le défi de cette prégnance de l’oralité chez des écrivains comme Rabelais, Queneau, Céline.
La traduction et l’interprétation mettent donc à mal l’opposition binaire souvent perçue comme dichotomique entre oral et écrit, puisqu’elles ont à traiter non seulement des textes écrits (directement encodés par le scripteur), des discours oraux mais aussi (et surtout ?) des productions oralisées (discours énoncés à partir de notes, par exemple) et des productions écrites hybrides (mêlant des réalisations différentes de la même langue).
Notre objectif est d’apporter aux réflexions linguistiques/discursives (par ex. du groupe GARS, de Tannen, Halliday, Barbéris), cognitives et anthropologiques (par ex. de Vygotski, Goody, Onk) une perspective nouvelle lorsque les rapports complexes (de continuum ?) entre oral et écrit se font dans le cadre du contact des langues et des cultures, à un moment où les technologies (TIC), le réseautage et les émotions (cf. Plantin et al.) transforment toujours plus nos interactions.
Les contributions susceptibles d’aider à approfondir la perspective proposée, à clarifier les situations et pratiques où oral et écrit interfèrent quand il y a co-présence de langues, à traiter des problématiques de contact de langues et de codes, à aborder les enjeux et conséquences de l’oralisation dans l’écrit lors de communications multilingues, sont bienvenues.
Parmi les thématiques possibles, nous proposons plus précisément mais sans être exhaustifs, les questions suivantes :
- Comment se jouent les rapports écrit-oral dans les traductions et interprétations, en reconnaissant que ces codes et leurs rapports ne sont pas considérés et valorisés de façon identique partout ?
- Quelles représentations des langues et de leurs variations favorise-t-on dans la traduction au cinéma, dans les BD, au théâtre, etc. ?
- Quelles stratégies met-on en œuvre quand il y a transfert ? Sont-elles corrélées à des genres ?
- Quelle contrainte représente le public visé (lecteurs, téléspectateurs, cinéphiles, etc.) ?
- Les universaux (explicitation, simplification, etc.) et les lois de traduction (notamment celle dite de neutralisation, cf. Toury 1995) éclairent-ils ces stratégies ?
- Quelles normes linguistiques suit-on lorsqu’il s’agit de traduction pour les écrans, pour des sites web ?
- Les retraductions sont-elles, entre autres, un nouveau questionnement sur l’état des langues en présence ?
- Quels sont les rôles et responsabilités du traducteur, son éthique, face au métissage entre écrit et oral ?
Ces questions acquièrent d’autant plus de pertinence que toute traduction ou interprétation est toujours contextualisation (et en aucun cas problème de correspondance mot à mot, comme le perpétue une certaine opinion) et qu’elles sont de plus en plus omniprésentes – du paquet de corn-flakes aux nouvelles du soir, du document spécialisé aux programmes télévisés importés. Le poids des communications interlinguistiques et interculturelles dans la mondialisation en cours, avec le développement d’une lingua franca, ne peut qu’augmenter. Il y a là un défi pour tous les chercheurs centrés sur les usages et pratiques des langues.
Expression de participation : envoyer un résumé indiquant les problématiques et corpus envisagés d’ici le 31 mars 2008
Remise des textes : 29 mai 2009.
Pout tout contact :
Yves Gambier :
yves.gambier@utu.fi
Olli-Philippe Lautenbacher :
oplauten@utu.fi
Références
Barbéris M.J. (dir.) 1999. Le francais parlé, variété et discours. PU de Montpellier.
GARS : Groupe aixois de recherche sur la langue parlée.
Goody, Jack. 1979. Le raison graphique: la domestication de la pensée sauvage. Traduit de l’anglais The domestication of the savaged mind (1977) par jean Vazin & Alban Bensa. Paris: éd. de Minuit.
Goody, Jack. 1994. Entre l’oralité et l’écriture. Traduit de l’anglais The Interface between the written and the oral (1987). Paris: PUF
Goody, Jack 2006. La littératie. Autour de J.Goody, numéro spécial de Pratiques, 131- 132, décembre 2006, coordonné par Jean-Marie Privat & Mohamed Kara
Halliday, MAK. 1989. Spoken and written language. Oxford UP.
Onk, Walter. 2002. Orality and Literacy. The technologizing of the writen world. (1ère édition: 1982). Londres: Routledge.
Plantin Christian, Marianne Doury & Véronique Traverso. 2000. Les émotions dans les interactions. PU Lyon.
Tannen, D. (éd.) 1982. Spoken and Written languages : Exploring orality anf literacy. Norwood, NJ: Ablex.
Toury, Gideon. 1995. Descriptive Translation Studies and Beyond. Amsterdam & Philadelphie : J. Benjamins.
Vygotsky, Lev. 1985. Pensée et langage, traduit du russe (1934). Paris: éditions sociales.
Posted by Federico Zanettin on 27th Sep 2007
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