Opposé·e·s par les connecteurs d’opposition :

une étude des traductions françaises du connecteur néerlandais maar par des étudiantes et étudiants en traduction, et des traductrices et traducteurs professionnel·le·s

By Nathanaël Stilmant (Université de Mons, Belgium)

Abstract

English:

While the link between our experience of the world and our use of language is no longer in doubt (Ungerer and Schmid 2006), the effect of the level of experience on our language use has received little attention, particularly within the field of translation studies. In this article, we investigate this factor by means of a didactic experiment focusing on French translations of the most typical Dutch contrastive marker, maar, by professional translators on the one hand, and translation students on the other. The first group in this study therefore has a broader experience of the world than the second group. Our hypothesis is that this difference in experience will give rise to differences between the translation results of professional translators and those of translation students. It is partially confirmed, as the translation strategies adopted by the two groups of participants show statistically significant differences for certain semantic categories of maar.

French:

Si le lien entre notre expérience du monde et notre utilisation du langage ne fait plus de doute (Ungerer et Schmid 2006), l’influence de la variation du degré de cette expérience sur son utilisation du langage a fait l’objet de peu d’attention, en particulier dans le cadre de la traductologie. Dans cet article, nous nous proposons d’investiguer ce facteur par le biais d’une expérience didactique en nous focalisant sur la traduction en français du connecteur d’opposition néerlandais le plus typique, maar, par, d’une part, des traductrices et traducteurs professionnel·le·s, et d’autre part, des étudiantes et étudiants en traduction. Le premier groupe de cette étude possède donc une expérience du monde plus large que le second groupe. Notre hypothèse est que cet écart d’expérience va donner lieu à des différences entre les stratégies traductives déployées par ces deux groupes. Cette hypothèse se confirme en partie, car certaines catégories sémantiques de maar présentent des stratégies de traduction significativement différentes entre les deux groupes de participant·e·s à cette l’étude.

Keywords: translation strategies, contrastive markers, French, Dutch, experience, connecteurs d’opposition, stratégies traductives, français, néerlandais

©inTRAlinea & Nathanaël Stilmant (2024).
"Opposé·e·s par les connecteurs d’opposition : une étude des traductions françaises du connecteur néerlandais maar par des étudiantes et étudiants en traduction, et des traductrices et traducteurs professionnel·le·s"
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Stable URL: https://www.intralinea.org/specials/article/2651

1. Introduction

Pour la linguistique cognitive, le langage ne se conçoit pas comme une structure isolée dans l’esprit humain (Langacker 1993), mais s’inscrit dans le concept plus large de la cognition humaine. Dans cette vision décloisonnée des connaissances linguistiques, l’expérience du monde que se font les locuteur·trice·s d’une langue occupe une place fondamentale dans la manière dont ils et elles s’en servent.

À mesure que nous avançons en âge, notre perception du monde change (van de Rijt et Plooij 2018). Cette évolution se retrouve, entre autres, dans le domaine linguistique. Ryan et al. (1992) ont ainsi démontré l’existence de divergences entre la manière dont des jeunes adultes (environ 26,4 ans) et des adultes plus âgé·e·s (environ 72,9 ans en moyenne) évaluent leurs propres compétences linguistiques, ainsi que celles de leurs pairs.

La traductologie faisant partie intégrante des sciences cognitives (Achard-Bayle et Durieux 2020), l’on peut concevoir que l’expérience d’un·e traducteur·trice puisse exercer une influence sur ses stratégies traductives. Cette question reste encore peu explorée, et rares sont les études qui s’y intéressent de façon spécifique. Ces dernières tendent néanmoins à montrer que l’âge et l’expérience jouent bien un rôle dans le processus traductif. Kruger et Crots (2014) ont par exemple comparé de jeunes traducteurs·trices avec peu d’expérience à des traducteurs·trices chevronné·e·s et, de facto, souvent plus âgé·e·s. Elles se sont penchées en particulier sur le rôle de l’éthique personnelle et professionnelle sur les stratégies de traduction de ces deux groupes de traducteurs·trices, et ont montré que l’âge d’un·e traducteur·trice, et surtout son expérience, influencent ses stratégies traductives.

Dans cette étude, nous souhaitons conférer une place centrale à la question de la variation des stratégies traductives liées à l’expérience des traducteurs·trices. Nous nous concentrerons pour cela sur un élément linguistique qui n’a pas encore fait l’objet d’une analyse traductologique dédiée à ce critère, à savoir la traduction en français du connecteur d’opposition néerlandais maar. L’objectif de cette étude est donc de voir si le degré d’expérience d’un·e traducteur·trice exerce une influence sur ses stratégies traductologiques lorsqu’il ou elle doit traduire le connecteur d’opposition maar en français, et si tel est le cas, de décrire cette influence avec précision.

2. Méthodologie

2.1. Sélection des participant·e·s et du texte de l’étude

Afin d’étudier le rôle de l’expérience des traducteurs·trices dans la traduction du connecteur d’opposition maar, nous avons établi deux groupes qui diffèrent principalement l’un de l’autre par le degré d’expérience qui caractérise les traducteurs·trices dont ils se composent.

Le groupe A est constitué des traducteurs·trices ayant l’expérience la plus limitée. Il se compose de 19 étudiant·e·s de dernière année de master de la Faculté de Traduction et d’Interprétation de l’Université de Mons (FTI-EII) en Belgique. Chacun·e de ces étudiant·e·s était francophone natif·ve, et possédait le néerlandais dans sa combinaison linguistique de base lors de ses études.

Le groupe B représente quant à lui les traducteurs·trices expérimenté·e·s, que nous appellerons désormais « traducteurs·trices professionnel·le·s ». Les critères qui nous ont permis de les sélectionner sont ceux de PACTE (2008). Les traducteurs·trices du groupe B possèdent ainsi au moins cinq ans d’expérience en tant que traducteurs·trices professionnel·le·s, en ce sens que la traduction représente au moins 70 pour cent de leurs revenus. Ces critères ont été complétés et adaptés aux besoins spécifiques de notre étude. Les traducteurs·trices professionnel·le·s devaient ainsi également être francophones natif·ve·s, et posséder le néerlandais dans leur combinaison linguistique lors de leurs études. 12 traducteurs·trices professionnel·le·s répondant à ces critères ont participé à l’étude.

Ces deux groupes ont été invités à traduire en français un texte rédigé en néerlandais de 488 mots comportant 12 occurrences du connecteur maar (texte en annexe). Le texte de l’étude est un texte semi-authentique : il se présente sous la forme d’un texte rédigé dans un néerlandais authentique (produit par des locuteurs·trice·s natif·ve·s, et à destination de locuteurs·trice·s natif·ve·s) qui a été légèrement remanié à des fins didactiques (Makukhina, 2023). Dans notre cas, la principale modification réalisée a consisté en une réduction de la longueur des parties du texte ne comportant pas de maar. Elle a ainsi permis une maximisation du nombre d’occurrence de ce connecteur sans pour autant que le texte à traduire ne soit trop long.

Le sujet de l’étude n’était révélé aux participant·e·s qu’une fois la traduction effectuée. Nous avons choisi le genre journalistique comme type de texte, car c’est le type de texte auquel les étudiant·e·s en question étaient le plus habitué·e·s. Le texte de cette expérience se présente donc sous la forme d’un article de journal.

Les étudiant·e·s du groupe A ont tous réalisé la traduction simultanément dans un local de l’Université de Mons. Les traductions des traducteurs·trices professionnel·le·s du groupe B se déroulaient lors de rendez-vous durant lesquels nous nous déplacions jusqu’au lieu souhaité par les participant·e·s. Nous étions donc présent lors de l’entièreté de l’expérience pour l’ensemble des participant·e·s. Ils et elles avaient accès à tous les outils linguistiques souhaités (dont des dictionnaires bilingues) et à Internet pour se documenter sur le sujet du texte. Seul l’usage de la traduction automatique était interdit. L’expérience a duré une heure et demie et ses résultats ont été anonymisés.

Afin d’éviter la communication entre les professionnel·le·s, qui prenaient part à l’étude de manière asynchrone, le recrutement des traducteurs·trices se faisait de manière anonyme. Par ailleurs, ces dernier·ère·s étaient informé·e·s du caractère confidentiel de leurs (futurs) résultats dès la phase de recrutement durant laquelle nous fournissions un document récapitulatif des modalités de l’étude qui en soulignait l’importance. Enfin, une fois l’expérience terminée, chaque professionnel·le se voyait rappeler la nécessité de ne divulguer ni le texte, ni le sujet de l’expérience à d’éventuel·le·s pairs.

2.2. De la classification sémantique du néerlandais maar et du français mais

Le texte de notre expérience didactique comporte des maar authentiques couvrant les principales catégories sémantiques de ce connecteur. Avant de nous intéresser à mais et maar d’un point de vue traductologique, il convient d’exposer la classification sémantique de ces connecteurs que nous avons adoptée dans le cadre de l’expérience didactique décrite dans cet article.

S’intéresser au sémantisme de mais et maar invite à se pencher sur la notion d’opposition, dont mais (Dajko et Carmichael 2014) et maar (Pérrez 2006) sont les connecteurs les plus typiques. Dans cet article, la notion d’opposition repose sur trois sous-notions principales, à savoir, la concession, l’adversation, et la correction. Cette vision en trois dimensions, que nous avons mise à l’épreuve des corpus lors de précédentes études descriptive et contrastive de maar et mais (Stilmant 2023), est celle qui est la plus communément adoptée dans les études multilingues, contrastives et traductologiques traitant de la notion d’opposition (Dupont 2019).

La concession est la première sous-notion oppositive fondamentale. Elle implique une attente implicite, qui, contre toute attente, ne se rencontre pas (Thomas et Matheson, 2003), comme dans (1) :

(1) Rodrigue n’est pas grand, mais il est fort. (Adam 1990 : 203)

La petite taille de Rodrigue amène le lecteur à s’attendre à ce que ce dernier ne soit pas très fort, mais contre toute attente, c’est bien le cas. L’attente du lecteur est donc niée, par les éléments qui suivent mais.

Jean-Michel Adam (1990) distingue trois différents mais concessifs. Nous avons choisi de reprendre sa classification, car elle permet de faire émerger des profils fonctionnels de mais très intéressants (Stilmant 2023). Pour Adam, il existe ainsi tout d’abord des mais de concession simple, dont l’exemple (1) fait partie.

Ces mais peuvent s’accompagner d’un connecteur additif. Ils révèlent alors ‘le système de valeurs sur lequel s’appuie le locuteur’ (Adam 1990 : 192), et font émerger la hiérarchie des éléments unis par mais :

(2) Pour l’aventure, bien sûr, mais pour une leçon de cinéma aussi. (Adam 1990 : 198)

L’exemple (2) est une publicité pour aller voir le film « Indiana Jones ». Les deux arguments liés par mais tendent vers la même conclusion, qui pourrait être « allez voir le film », une différence notable par rapport à l’exemple (1) dont les deux arguments possédaient des conclusions opposées. La présence de aussi n’inverse pas l’orientation argumentative : elle la renforce. Le ou la destinataire du message est dès lors invité·e à comprendre, grâce à l’exemple (2), qu’il faut aller voir Indiana Jones non seulement parce qu’il s’agit d’un film d’aventure, mais (aussi / (et) surtout) parce qu’il s’agit d’une leçon de cinéma.

Enfin, il existe des mais qui agissent davantage comme des embrayeurs de points de vue (Rabatel 1999). En partie vidés de leur charge contrastive, ils articulent ‘des morceaux discursifs a priori hétérogènes : une parole sur une autre à l’oral, un fragment textuel avec un autre, à l’écrit’ (Adam 1990 : 203). Ils permettent ainsi d’introduire un nouveau thème, au sein du récit (3) (emploi plutôt narratif) ou de la discussion (4) (emploi phatique) dans lesquels ils figurent :

(3) Toujours enfoui dans le souple support de fourrure, la conductrice de Mercedes dessous, Meyer ne détache plus ses yeux de la centrale. Sans plus aucune envie de bouger. Mais il faut bien qu’il bouge lorsque la jeune femme, d’une voix étouffée, lui demande si ça ne l’embêterait pas trop de la laisser se relever. (Nous trois, Jean Echenoz 1992, cité par Rabatel 1999)

(4) Mais occupe-toi d’Amélie. (Ducrot et al. 1976)

Dans les deux exemples, les connecteurs d’opposition n’articulent plus des éléments internes au discours, mais agissent plutôt sur sa structure et sa progression.

La seconde sous-notion concessive fondamentale est l’adversation. Un connecteur adversatif souligne l’existence d’une différence entre les deux éléments qu’il lie (Dupont 2019), avec une idée de comparaison sous-jacente, comme dans :

(5) Jan est grand, mais Piet est petit. (Foolen 1993)

On compare ici Jan et Piet, et on présente leurs caractéristiques comme contraires.

La correction est la troisième sous-notion contrastive fondamentale. Elle rectifie un fait qui est présenté comme erroné, et le remplace par un autre fait (Dupont 2019) :

(6) Pierre n’est pas français, mais allemand. (Anscombre et Ducrot 1977)

Le sémantisme de chaque maar présent dans le texte de l’étude a donc été analysé selon cette classification, comme le montre le tableau 1.

Catégories sémantiques de maar

Occurrences

Traductions littérales des occurrences en contexte

Concession simple

De Europese Commissie heeft een vijfde sanctiepakket voorgesteld tegen Rusland, maar gas en olie weren is voorlopig nog altijd niet aan de orde.

La Commission européenne a proposé un cinquième train de sanctions contre la Russie, mais il n’est toujours pas question d’une interdiction du gaz et du pétrole pour l’instant.

Voor een importverbod van olie is het kennelijk nog wat te vroeg, maar ook daaraan wordt gewerkt.

Pour ce qui est de l’interdiction des importations de pétrole, il est apparemment encore un peu trop tôt, mais cette question est également à l’étude.

Een derde van de steenkool die in België wordt ingevoerd komt uit Rusland, maar in absolute volumes valt dat goed mee.

Un tiers du charbon importé en Belgique provient de Russie, mais en volume absolu, ce n’est pas si grave.

Geen olie en gas meer aannemen uit Rusland, is een van de zwaarste sancties die de Europese Unie kan nemen, maar dat ligt tegelijkertijd erg gevoelig.

Ne plus accepter de pétrole et de gaz en provenance de Russie est l’une des sanctions les plus sévères que l’Union européenne puisse prendre, mais elle est en même temps très délicate.

We koppelen ons los van de Russische energievoorziening, maar dat gaat maar stap voor stap.

Nous nous déconnectons des approvisionnements énergétiques russes, mais pas à pas.

Concession additive

[…] meer inflatie op energie, maar ook op citytrips en voeding […].

[…] L’inflation s’accentue sur l’énergie, mais aussi sur les citytrips et les denrées alimentaires [...].

Concession non-verbale

Maar niet alle lidstaten zijn even grote klanten van Rusland.

Mais tous les États membres ne sont pas des clients aussi importants de la Russie.

Maar het laatste dat wij willen, is onze eigen bevolking straffen.”

« Mais la dernière chose que nous voulons, c’est punir nos citoyens. »

Adversation

Russisch steenkool in de ban, maar hun olie en gas blijven wel welkom

Le charbon russe interdit, mais le pétrole et le gaz restent les bienvenus

“Een gasboycot ligt nog altijd erg gevoelig, maar voor olie zouden we wel alternatieven vinden.”

« Un boycott du gaz est encore très sensible, mais pour le pétrole, nous trouverions des alternatives. »

Correction

[…] niet steenkool, maar aardgas steeds vaker gebruikt wordt voor het opwekken van stroom.

[...] pas le charbon, mais le gaz naturel est de plus en plus utilisé pour la production d’électricité.

Bovendien is Duitsland niet alleen erg afhankelijk van Russisch gas, maar kwam vorig jaar ook ruim de helft van de ingevoerde steenkool eveneens uit Rusland.

En outre, l’Allemagne est non seulement très dépendante du gaz russe, mais elle a également importé la moitié de son charbon de Russie.

Tableau 1 : occurrences de maar présentes dans le texte source de l’étude

Une analyse sémantique de ces maar fondée sur les mêmes critères d’analyse que ceux décrits dans cet article a été réalisée par un autre chercheur en traductologie de la Faculté de traduction de Mons. Elle a abouti à un accord global de 91,67 pour cent et à un kappa de Fleiss de κ = 0,90, soit un accord presque parfait (Landis et Koch 1977). Les maar traduits par les participant·e·s de cette étude couvrent donc de manière fiable l’ensemble des différentes catégories sémantiques de ce connecteur.

2.3. Traduire maar : trois stratégies possibles

Nous distinguons trois manières de traduire maar en français. La première est la traduction littérale (7). Maar est alors traduit par mais, son équivalent de connecteur d’opposition le plus répandu.

(7) Russisch steenkool in de ban, maar hun olie en gas blijven wel welkom.

« Embargo sur le charbon provenant de Russie, mais son pétrole et son gaz restent les bienvenus » (Traducteur·trice professionnel·le #5).

La seconde stratégie traductive est le choix d’un connecteur logique explicite autre que mais. L’auteur·e de la traduction (8) a ainsi opté pour par contre :

(8) Russisch steenkool in de ban, maar hun olie en gas blijven wel welkom.

« Embargo sur le charbon russe, par contre son pétrole et son gaz restent les bienvenus » (Traducteur·trice professionnel·le #3).

Certain·e·s participant·e·s, pour traduire maar, ont parfois employé des morphèmes qui ne sont pas reconnus à l’unanimité comme des connecteurs. Afin de garantir une cohérence dans le traitement des résultats, nous avons analysé l’ensemble des traductions en nous référant à la liste des connecteurs d’opposition de Dupont (2019). Cette liste repose en grande partie sur la base de données LEXCONN (Danlos, Roze et Muller 2012), dont l’objectif est de recenser l’ensemble des connecteurs logiques français. Les connecteurs autres que mais repris dans Dupont (2019) seront dès lors considérés comme des traductions de maar par un autre connecteur que mais, tandis que les traductions dont les connecteurs ne sont pas repris dans cette liste relèveront de la troisième stratégie traductive, à savoir le non-marquage. Cette dernière stratégie se caractérise par une ‘absence de connecteur entre les membres d’une construction pour signifier une relation sémantico-pragmatique’ (Corminboeuf 2014). Aucun connecteur explicite n’est ici employé dans la traduction, comme dans l’exemple (9) :

(9) Russisch steenkool in de ban, maar hun olie en gas blijven wel welkom.

« Embargo sur le charbon russe, le pétrole et le gaz épargnés »                                                       (Traducteur·trice professionnel·le #10).

Terminons cette section en faisant remarquer que nous n’avons écarté aucune des traductions qui nous ont été fournies, même celles qui pourraient être discutables (par exemple, un maar traduit par un connecteur qui n’exprime plus l’opposition, mais une autre notion, comme un donc exprimant une conséquence).

3. Résultats

3.1. Stratégies traductives des étudiant·e·s

Le tableau 2 résume les différentes stratégies traductives adoptées par les étudiant·e·s pour traduire les maar du texte de l’étude.

Tableau 2 : stratégies traductives des étudiant·e·s

Tableau 2 : stratégies traductives des étudiant·e·s

La traduction littérale est globalement la stratégie la plus représentée dans le tableau 2, constituant 57,4 pour cent des traductions réalisées par les étudiant·e·s. La seconde stratégie, consistant à traduire maar par un connecteur autre que mais, a quant à elle été employée dans 22,3 pour cent des traductions de maar, et les relations non marquées représentent 20,1 pour cent des traductions.

Ces chiffres sont cependant influencés par la répartition inégale des catégories sémantiques dans le texte utilisé dans cette étude. La concession simple est, par exemple, davantage représentée que les autre catégories sémantiques (car elle est aussi la plus répandue, Stilmant 2023). En calculant la prévalence des trois stratégies traductives avec un poids équivalent pour chaque catégorie sémantique, la traduction littérale perd un peu d’importance, et représente alors 46,6 pour cent des traductions des étudiant·e·s. Les autres connecteurs totalisent 26,5 pour cent des traductions, et les relations non-marquées, 26,8 pour cent.

L’on observe ensuite que les stratégies traductives possibles dans le cadre de cette étude assument toutes les trois, dans au moins une catégorie sémantique de maar, le rôle de stratégie la plus employée par les étudiant·e·s.

Ainsi, les maar concessifs simples, les maar concessifs additifs, et les maar adversatifs ont été majoritairement traduits littéralement par les étudiant·e·s. Les relations non marquées, elles, constituent la stratégie traductive la plus utilisée pour traduire les maar concessifs non verbaux oraux (phatiques), et les maar correctifs. Enfin, les étudiant·e·s ont la plupart du temps traduit les maar concessifs non verbaux du discours écrit (narratifs) en se servant d’un connecteur autre que mais. On remarque d’ailleurs que ces maar n’ont jamais été traduits littéralement par mais. Ils constituent ainsi l’unique catégorie où l’une des trois stratégies traductives n’est pas représentée. Nous reviendrons sur cette particularité dans la section 3.3.1.

3.2. Stratégies traductives des traducteurs·trices professionnel·le·s

Le tableau 3 reprend les différentes stratégies traductives adoptées par les traducteurs·trices professionnel·le·s pour traduire les maar du texte de l’étude.

Tableau 3 : stratégies traductives des traducteurs·trices professionnel·le·s

Tableau 3 : stratégies traductives des traducteurs·trices professionnel·le·s

Chez les traducteurs·trices professionnel·le·s également, la stratégie de la traduction littérale est la plus employée. Elle représente 60,4 pour cent des traductions réalisées par les traducteurs·trices professionnel·le·s. Ils et elles ont utilisé un connecteur autre que mais dans 21,5 pour cent de leurs traductions, et ont opté pour une relation non marquée dans 18,0 pour cent des cas.

En donnant à chaque catégorie sémantique le même poids, la traduction littérale représente proportionnellement 53,8 pour cent des traductions des traducteurs·trices professionnel·le·s, les connecteurs autres que mais 24,3 pour cent, et les relations non-marquées 21,8 pour cent.

À l’instar des traductions des étudiant·e·s, la stratégie traductive de maar privilégiée en français par les traducteurs·trices professionnel·le·s varie en fonction de la catégorie sémantique de ce connecteur. Les maar concessifs simples, les maar concessifs additifs et les maar adversatifs ont été le plus souvent traduits par mais et donc par une traduction littérale. La traduction littérale est également la stratégie la plus utilisée pour traduire les maar adversatifs et les maar non-verbaux oraux (phatiques), sans plus concerner toutefois la majorité absolue des occurrences de ces catégories sémantiques.

Le non-marquage, quant à lui, est la stratégie la plus utilisée par les traducteurs·trices professionnel·le·s pour traduire les maar correctifs.

La stratégie des connecteurs autres que mais, enfin, est la stratégie la plus employée par les traducteurs·trices professionnel·le·s pour traduire les maar concessifs non-verbaux du discours écrit (narratifs), et concerne la moitié des occurrences des maar de cette catégorie sémantique.

3.3. Analyse contrastive des résultats des deux groupes de participant·e·s

3.3.1. Stratégies les plus répandues

Si les résultats descriptifs fournissent déjà des informations intéressantes sur les tendances des stratégies traductives des étudiant·e·s et des traducteurs·trices professionnel·le·s, ils ne permettent pas une compréhension immédiate des divergences entre ces deux groupes. Il convient pour cela de mener une analyse contrastive.

Examinons d’abord les stratégies traductives prédominantes au sein des deux groupes, grâce au tableau 4. Les lettres « A » et « a » désignent les stratégies les plus utilisées par les étudiant·e·s, les lettres « B » et « b » réfèrent aux stratégies les plus utilisées par les traducteurs·trices professionnel·le·s. Une lettre majuscule indique que la stratégie a été utilisée pour traduire plus de la moitié des occurrences des maar de la catégorie sémantique concernée, une lettre minuscule indique que la stratégie traductive est la plus choisie par les participant·e·s pour la catégorie sémantique donnée, mais qu’elle concerne moins de la moitié des maar traduits.

 

Traduction littérale

Autre connecteur

Non-marquage

Maar concessifs simples

A, B

 

 

Maar concessifs additifs

A, B

 

 

Maar concessifs non verbaux (phatiques)

b

 

A

Maar concessifs non verbaux (narratifs)

 

A, b

 

Maar adversatifs

A, b

 

 

Maar correctifs

 

 

a, B

Tableau 4 : stratégies traductives dominantes des deux groupes de l’étude

On note tout d’abord que les étudiant·e·s semblent plus catégoriques lorsqu’ils et elles utilisent une stratégie traductive. En effet, seuls les maar correctifs, à une occurrence près, n’ont pas été traduits majoritairement par une seule et même stratégie traductive. Dans les autres catégories sémantiques, les stratégies les plus employées par les étudiant·e·s couvrent toujours plus de la moitié des occurrences des maar traduits. Les traducteurs·trices professionnel·le·s, eux/elles, semblent moins tranché·e·s dans leur choix de stratégies traductives. La moitié des catégories sémantiques de maar ont ainsi été le plus souvent traduites par des stratégies de traduction qui ne concernent même pas la moitié des connecteurs de ces catégories.

D’emblée, l’on aurait tendance à croire qu’étudiant·e·s et traducteurs·trices professionnel·le·s divergent surtout sur les traductions d’une seule catégorie sémantique de maar, celle des concessions non-verbales phatiques. Mais ces résultats indiquent-ils une différence réelle, ou relèvent-ils du hasard ? Et se pourrait-il que, bien qu’ils affichent les mêmes tendances pour les autres catégories sémantiques, les traducteurs·trices et les étudiant·e·s aient tout de même effectués des choix significativement différents dans les autres catégories sémantiques du tableau ?

Pour répondre à ces questions, il faut gagner en précision dans l’analyse des données, et faire usage du test de Fisher. Cet outil statistique permet de savoir si deux variables sont indépendantes ou si elles sont liées. Ici, il nous permettra donc de savoir si les variations des usages des stratégies traductives entre les étudiant·e·s et les traducteurs·trices professionnel·le·s sont dues au hasard ou non.

Le tableau 5 compare le recours aux trois stratégies traductives des étudiant·e·s et des traducteurs·trices professionnel·le·s et donne pour chacune de ces comparaisons la valeur-p calculée selon le test de Fisher. Les valeurs inférieures à 0,05 indiquent que la variation de stratégie entre les étudiant·e·s et les traducteurs·trices professionnel·le·s est significative et donc non due au hasard.

 

Traduction littérale

Autres connecteurs

Non-marquage

Maar concessifs simples

0,333

0,538

0,649

Maar concessifs additifs

0,675

1

1

Maar concessifs non verbaux (phatiques)

0,438

1

0,460

Maar concessifs non verbaux (narratifs)

0,004

0,255

0,363

Maar adversatifs

0,028

0,009

1

Maar correctifs

0,591

1

0,605

Tableau 5 : résultats des tests exacts de Fisher comparant les usages des stratégies traductives des deux groupes de l’étude

Les résultats du tableau 4 liés aux deux premières catégories sémantiques se retrouvent dans le tableau 5. Etudiant·e·s comme traducteurs·trices professionnel·le·s traduisent donc peu ou prou les maar concessifs simples et les maar concessifs additifs de la même manière, à savoir, par mais.

En se penchant ensuite sur les résultats des maar concessifs non-verbaux phatiques, on se retrouve face à une divergence intéressante par rapport aux résultats du tableau 4. En effet, les étudiant·e·s avaient utilisé la stratégie du non-marquage pour la majorité de ces maar, alors que les traducteurs·trices professionnel·le·s avaient favorisé les traductions littérales. Ces divergences ne sont cependant pas statistiquement significatives.

Le premier résultat significatif de cette étude arrive avec la catégorie des maar concessifs non-verbaux narratifs (valeur-p = 0,004). S’il est vrai que tant les étudiant·e·s que les traducteurs·trices professionnel·le·s ont préféré les connecteurs autres que mais pour traduire des maar de cette catégorie traductive, les deux groupes ont eu recours à la traduction littérale de manière très différente. En effet, les étudiant·e·s n’ont traduit aucun maar de cette catégorie par un mais, ce qu’ont par contre fait cinq traducteurs·trices professionnel·le·s sur les 12 participant·e·s à l’étude.

Cet écart s’explique peut-être par une différence de perception d’une idée fortement répandue en français, qui veut qu’il soit préférable d’éviter de commencer une phrase par mais (de Chantal et Mauduit 2021). Cette recommandation n’est cependant pas valable pour l’ensemble des catégories sémantiques de mais.

Les mais concessifs simples et concessifs additifs s’emploient en effet peu souvent en position initiale dans leur phrase hôte (Stilmant 2023). Peut-être faut-il y voir ici un reliquat de leur usage en ancien français, où cette position leur était impossible (Rodríguez Somolinos 2002). Cependant, il n’en est pas de même pour les mais concessifs non verbaux. La position initiale est en effet la position de prédilection de ces mais, car elle leur permet d’assumer au mieux leur rôle d’embrayeurs de points de vue, d’introducteurs de nouveaux thèmes dans le discours (Rabatel 1999). Adam (1990) note que les plus grands auteurs de la littérature française utilisent de tels mais concessifs non verbaux narratifs souvent en début de paragraphe. Quant aux mais concessifs non verbaux phatiques, Ducrot et al. montrent dès 1976 qu’ils se retrouvent dans la plupart des cas ‘en tête de réplique’.

La recommandation, parfois présentée comme une règle formelle, conseillant aux locuteurs francophones de ne pas commencer de phrase par mais est donc plus subtile qu’elle n’y paraît, car elle ne s’applique pas avec la même pertinence à l’ensemble des catégories sémantiques de mais. Vu que les étudiant·e·s ‘ont tendance à généraliser le système linguistique qu’ils [et elles] apprennent lorsqu’ils [et elles] ont encore une compétence limitée’ (Kusmaryania 2023 : 42), il se peut qu’ils et elles l’appliquent sans distinction pour l’ensemble des catégories sémantiques de mais. La peur de sortir de la norme les a ainsi poussé·e·s à éviter de traduire littéralement les maar concessifs non verbaux narratifs. Or de tels mais ont tout à fait leur place en position initiale, comme l’a noté entre autres Adam (1990). Notre hypothèse ici est que, grâce à leur expérience plus grande de la langue française acquise par les années supplémentaires qui les ont mis·e·s en contact avec elle, les traducteurs·trices professionnel·le·s ont perçu mieux que les étudiant·e·s que le mais concessif non verbal narratif peut s’employer en position initiale. Ils et elles n’ont donc pas cherché à éviter systématiquement la stratégie de la traduction littérale pour traduire les maar de cette catégorie. Notons que le maar concessif non verbal de cette expérience, qui se trouve dans un extrait d’une déclaration radiophonique d’Alexander De Croo, a été traduit littéralement par certain·e·s étudiant·e·s, et ce bien que figurant lui aussi en position initiale. Les étudiant·e·s semblent donc moins éviter la traduction littérale pour les maar situés en position initiale dans un discours oral que dans un discours écrit (un constat cependant non significatif, p = 0,105).

Le second groupe de résultats significatifs de ce tableau est lui aussi lié, entre autres, à une différence d’utilisation de la traduction littérale entre les étudiant·e·s et les traducteurs·trices professionnel·le·s, mais concerne cette fois la catégorie des maar adversatifs (valeur-p = 0,028). Ce constat contraste lui aussi avec les résultats du tableau 4, où les deux groupes de l’étude traduisaient le plus souvent les maar adversatifs de manière littérale. En cause, une utilisation plus importante de connecteurs autres que mais chez les traducteurs·trices professionnel·le·s (valeur-p = 0,009), ainsi que, dans une moindre mesure, de relations non-marquées (plus du double par rapport aux étudiant·e·s). Sur ce point, l’adversation se distingue à nouveau de toutes les autres catégories sémantiques de maar comprises dans le cadre de cette étude. Elle est en effet la seule catégorie où les traducteurs·trices professionnel·le·s ont utilisé la stratégie des connecteurs autres que mais plus que les étudiant·e·s.

3.3.2. Des connecteurs autres que mais, mais lesquels ?

Le constat sur lequel nous avons clôturé la section précédente nous invite à explorer un aspect propre à la stratégie du choix d’un connecteur autre que mais pour traduire maar, à savoir, sa diversité. En effet, si l’on s’en tient à une analyse fondée sur les connecteurs discursifs dans les traductions françaises des participant·e·s comme c’est le cas ici, les traductions littérales et les relations non marquées ne peuvent se cristalliser que d’une seule manière, respectivement, en traduisant maar par « mais » (7), et en n’utilisant pas de connecteurs discursifs explicites (9).

La stratégie du changement de connecteur dans la traduction, elle, peut se manifester de plusieurs façons différentes, comme on peut l’observer dans les traductions (11) et (12), toutes deux proposées par des traducteurs·trices professionnel·le·s pour traduire l’exemple (10) :

(10) Een gasboycot ligt nog altijd erg gevoelig, maar voor olie zouden we wel alternatieven vinden.

(11) « Si l’embargo gazier reste très sensible, nous pourrions trouver des alternatives pour le pétrole » (Traducteur·trice professionnel·le #10).

(12) « Le boycott du gaz reste tabou. Pour le pétrole par contre, des alternatives sont envisageables » (Traducteur·trice professionnel·le #7).

Les deux traductions présentent des connecteurs oppositifs différents, « si » et « par contre » qui, dans ce cas-ci, sont tous les deux acceptables.

On pourrait voir dans le recours à cette stratégie une cristallisation de l’universel de traduction visant l’évitement des répétitions (Baker, 1993) à l’échelle textuelle, qui ici se matérialisent par un usage répété de la traduction littérale. Ce principe étant lui aussi parfois présenté comme une norme, l’on pourrait s’attendre à retrouver davantage la stratégie des autres connecteurs chez les étudiant·e·s que chez les professionnel·le·s. Nos résultats montrent cependant un équilibre entre les deux groupes de l’étude : 21,4 pour cent de l’ensemble des maar traduits par les étudiant·e·s ont été rendus par un connecteur autre que mais, contre 20,8 pour les professionnel·le·s. La minime différence entre les deux groupes peut cependant être attribuée au hasard (p = 0,8973).

Nous avons cependant observé qu’en étudiant séparément les traductions des catégories sémantiques de maar (tableau 5), certaines différences significatives apparaissent (par exemple, pour les maar adversatifs). On pourrait s’attendre à ce que le groupe qui a davantage recours aux connecteurs autres que mais fasse preuve d’une diversité plus grande dans les connecteurs utilisés. Dans le tableau 6, nous nous penchons sur cette question en reprenant l’ensemble des connecteurs qui ont servi aux participant·e·s de l’étude à traduire les maar autrement que par mais.

 

Etudiant·e·s

Traducteurs·trices professionnel·le·s

 

Connecteurs

Nombre

Total

Connecteurs

Nombre

Total

Maar concessifs simples

Cependant

7

20

Cependant

3

10

Toutefois

3

Toutefois

2

Même si

2

Même si

2

Néanmoins

2

Si

2

Donc

3

Alors que

1

Bien que

1

 

Et

1

En revanche

1

Maar concessifs additifs

Ainsi que

2

3

De même que

1

1

Aussi bien … que

1

 

Maar concessifs non-verbaux (phatiques)

Cependant

1

5

Cependant

1

3

Néanmoins

2

Or

2

Toutefois

2

 

Maar concessifs non-verbaux (narratifs)

Cependant

7

14

Cependant

2

6

Toutefois

5

Toutefois

3

Même si

1

Cela étant dit

1

Néanmoins

1

 

Maar adversatifs

Par contre

1

2

Par contre

4

8

Alors que

1

Si

4

Maar correctifs

À la place de

1

5

À la place de

1

3

Non seulement … mais également

1

Mais également

1

En effet

1

Plutôt

1

Aussi

1

 

Et

1

Tableau 6 : diversité des connecteurs employés pour traduire maar

Pour mieux évaluer la diversité des connecteurs utilisés par les deux groupes de l’étude, il convient de diviser le nombre total de cas où maar a été traduit par un autre connecteur que mais, par le nombre de connecteurs différents utilisés pour traduire maar par un autre connecteur que mais. L’on obtient alors un ratio, qui indique en moyenne combien de fois un connecteur a été utilisé. Plus il est petit, moins le connecteur a été utilisé, et donc, plus la diversité des connecteurs utilisés est grande. Par exemple, les étudiant·e·s affichent un ratio de 2,5 pour les maar concessifs simples. Cela signifie qu’en moyenne, les connecteurs autres que mais qu’ils et elles ont utilisés pour traduire ces maar ont été utilisés 2,5 fois. Pour cette même catégorie, les traducteurs·trices professionnel·le·s affichent un ratio de 2. Ils et elles n’ont donc utilisé chaque connecteur que deux fois en moyenne, leur variété des connecteurs utilisés est donc supérieure à celle des étudiant·e·s.

Le tableau 7 reprend, pour chaque catégorie sémantique de maar, le nombre moyen des recours à des connecteurs autres que mais pour traduire maar. La dernière colonne affiche le rapport entre les résultats des deux groupes : un chiffre positif signifie que les traducteurs·trices professionnel·le·s ont fait preuve de davantage de diversité que les étudiant·e·s.

 

Etudiant·e·s

Traducteurs·trices professionnel·le·s

Différence entre les groupes

Maar concessifs simples

2,5

2

0,5

Maar concessifs additifs

1,5

1

0,5

Maar concessifs non verbaux (phatiques)

1,666666667

1,5

0,166666667

Maar concessifs non verbaux (narratifs)

3,5

3

0,5

Maar adversatifs

1

4

-3

Maar correctifs

1

1

0

Tableau 7 : ratios de diversité des connecteurs utilisés

Un seul des résultats de la dernière colonne est entièrement négatif, celui des maar adversatifs. Cela peut paraître inattendu, quand on sait, comme nous l’avons vu dans nos résultats précédents, que ce sont les étudiant·e·s, et non les traducteurs·trices professionnel·le·s qui, excepté pour les maar adversatifs, utilisent davantage la stratégie des autres connecteurs pour chacune des catégories sémantiques de maar. L’on aurait dès lors pu s’attendre à ce qu’un recours plus important à d’autres connecteurs chez les étudiant·e·s entraîne une plus grande variété de connecteurs, or, ce n’est pas le cas. Bien qu’ayant eu moins souvent recours aux autres connecteurs que mais pour traduire maar, les traducteurs·trices professionnel·le·s ont presque toujours utilisé des connecteurs plus variés que les étudiant·e·s, à une exception près (maar adversatifs).

Les maar adversatifs se distinguent aussi des autres catégories sémantiques par leur ratio, -3. C’est le seul résultat tout à fait négatif du tableau, indiquant la seule catégorie où les traducteurs·trices montrent une diversité de connecteurs strictement moins grande que les étudiant·e·s. C’est en outre l’écart le plus grand entre les deux groupes de l’étude, il est au moins six fois plus marqué que n’importe quel autre écart de diversité entre les étudiant·e·s et les traducteurs·trices professionnel·le·s.

Un recours plus important à la stratégie consistant à recourir à d’autres connecteurs que mais n’entraîne donc pas forcément une plus grande diversité de ces connecteurs utilisés. Les résultats du tableau 7 semblent même indiquer que c’est le contraire : la seule catégorie sémantique pour laquelle les traducteurs·trices professionnel·le·s font preuve d’une plus faible diversité des connecteurs utilisés par rapport aux étudiant·e·s est aussi la seule catégorie où ils et elles choisissent de traduire maar par autre chose que mais plus souvent que les étudiant·e·s.

3.3.3. Au sein d’un même groupe d’étude : homogénéité des stratégies, ou profils variés ?

Si les deux sections précédentes ont mis en lumière certaines divergences de stratégies traductives entre étudiant·e·s et traducteurs·trices professionnel·le·s de manière collective, elles ne fournissent pas d’informations quant au recours à ces stratégies à l’échelle individuelle des participant·e·s de l’étude. En effet, ces différences, se rencontrent-elles chez tous les individus des groupes de l’étude, ou sont-elles la spécificité d’un nombre limité de participant·e·s dont les résultats influencent la moyenne du groupe ? En d’autres termes, le taux du recours à la stratégie des connecteurs autres que mais est-il homogène à l’intérieur des deux groupes de l’étude ? Et qu’en est-il de celui de la traduction littérale, et des relations non marquées ? Pour le savoir, il faut recenser tous les cas d’utilisation de ces stratégies pour chaque participant·e·s de l’étude, et compiler ces résultats dans des boîtes à moustaches qui en montreront la dispersion.

Tableau 8 : boîtes à moustaches des stratégies traductives par participant·e

Tableau 8 : boîtes à moustaches des stratégies traductives par participant·e

Commençons par nous pencher sur les résultats de la traduction littérale. On observe que les boîtes, qui représentent 50 pour cent des individus de chaque groupe, sont plus grandes chez les traducteurs·trices professionnel·le·s que chez les étudiant·e·s. Il en va de même pour les moustaches, ces traits linéaires partant des boîtes et représentant les extrêmes de chaque groupe. Ainsi, si les moustaches des étudiant·e·s et celles des traducteurs·trices professionnel·le·s ont le même minimum, 4, celles des traducteurs·trices professionnel·le·s ont pour maximum 12, alors que celles des étudiant·e·s ne vont que jusqu’à 9. Certain·e·s traducteurs·trices ont donc choisi la traduction littérale pour traduire tous les maar du texte, alors qu’aucun·e étudiant·e n’a jamais utilisé cette stratégie plus de neuf fois. Les traducteurs·trices professionnel·le·s semblent donc présenter une plus grande hétérogénéité de profils stratégiques que les étudiant·e·s. Voyons à présent si cette tendance se retrouve dans d’autres stratégies traductives.

S’agissant des résultats concernant l’utilisation de connecteurs autres que mais, l’on note en outre une différence similaire dans la taille des boîtes, voire encore plus marquée : la boîte des traducteurs·trices professionnel·le·s est presque trois fois plus grande que celle des étudiant·e·s, ce qui démontre une hétérogénéité dans l’usage des connecteurs autres que mais plus grande que chez les étudiant·e·s. Cette hétérogénéité se retrouve également en partie dans les moustaches. Les moustaches des étudiant·e·s vont de 1 à 4, elles sont donc moins étendues que celles des traducteurs·trices professionnel·le·s, qui s’étendent de 0 à 6. Certain·e·s traducteurs·trices n’ont donc pas une seule fois utilisé d’autres connecteurs que mais pour traduire maar, alors que d’autres ont utilisé cette stratégie jusqu’à six fois dans leur traduction. L’on constate donc des profils d’utilisation de la stratégie des autres connecteurs beaucoup plus hétérogènes chez les traducteurs·trices professionnel·le·s que chez les étudiant·e·s. L’on note tout de même que les deux catégories de participant·e·s de l’étude ont les mêmes maximum et minimum. En effet, si les moustaches des étudiant·e·s sont comprises entre 1 et 4, on observe la présence de quelques cas isolés représentés sous la forme de points sur le schéma. Chez les traducteurs·trices professionnel·le·s, les moustaches englobent l’entièreté des résultats, il n’y a pas de points isolés.

Enfin, la stratégie de non-marquage, dans une moindre mesure, s’inscrit dans la continuité des boîtes à moustaches des traductions littérales et de l’usage des autres connecteurs. L’on constate en effet qu’ici aussi, la boîte des professionnel·le·s est un peu plus grande que celle des étudiant·e·s. Il en est de même pour les moustaches. Notons cependant que les variations entre étudiant·e·s et traducteurs·trices professionnel·le·s sont nettement moins marquées pour la stratégie du non-marquage que pour la traduction littérale ou les connecteurs autres que mais.

4. Conclusion

Cet article s’est penché sur l’influence de l’expérience d’un·e traducteur·trice sur les choix de stratégies traductives du connecteur néerlandais maar. Après avoir proposé une grille de classification sémantique pour ce connecteur reposant sur une conception tridimensionnelle de la notion d’opposition (concession, adversation, correction), nous avons soumis un texte journalistique rédigé en néerlandais contenant plusieurs maar authentiques à des étudiant·e·s en traduction et à des traducteurs·trices professionnel·le·s. Les traductions des participant·e·s ont ensuite été analysées et classées selon trois stratégies : traduction littérale de maar par mais, traduction par un connecteur d’opposition autre que mais, et non-marquage sans utilisation explicite d’un connecteur oppositif dans la traduction.

Trois cas de différences significatives d’utilisation de ces stratégies traductives entre les étudiant·e·s et les traducteurs·trices professionnel·le·s ont été relevés dans cette étude. Tout d’abord, la traduction littérale a été utilisée plus souvent par les traducteurs·trices professionnel·le·s que par les étudiant·e·s pour traduire les maar relevant d’une sous-catégorie de la concession, à savoir, les maar concessifs non verbaux issus du discours écrit. La fréquence de l’usage de la traduction littérale diffère elle aussi entre les deux groupes de l’étude s’agissant de la traduction des maar adversatifs. Les traducteurs·trices ont ici moins recours à la traduction littérale que les étudiant·e·s pour traduire ces maar, lui préférant le non-marquage, mais surtout, le recours à d’autres connecteurs d’opposition explicites dans leurs traductions. Cette dernière tendance constitue d’ailleurs la troisième différence significative entre les deux groupes de l’étude. Ce constat contraste avec les autres catégories sémantiques de maar, pour lesquelles les traducteurs·trices professionnel·le·s utilisent systématiquement moins que les étudiant·e·s les connecteurs autres que mais.

La singularité des maar adversatifs ne s’arrête pas là, car en plus d’être la seule catégorie sémantique où les traducteurs·trices professionnel·le·s utilisent plus souvent que les étudiant·e·s d’autres connecteurs que mais, elle est, paradoxalement, la seule catégorie sémantique où les connecteurs d’opposition autres que mais sont moins variés chez les traducteurs·trices professionnel·le·s que ceux des étudiant·e·s.

Nous avons enfin cherché à savoir si les différences et les similarités des deux groupes de l’étude étaient des tendances générales en leur sein, et avons donc investigué les profils stratégiques individuels des participant·e·s au moyen de boîtes à moustaches. Ces dernières ont révélé que, pour les trois stratégies traductives, les traducteurs·trices professionnel·le·s affichent des profils plus variés que les étudiant·e·s. Ces résultats suggèrent donc que les traducteurs·trices professionnel·le·s de cette étude se différencient davantage les uns des autres que ne le font les étudiant·e·s. Leur plus grande expérience les a peut-être amené·e·s à avoir plus d’occasions de développer leur propre style traductologique et à se différencier de leurs pairs. Les stratégies des étudiant·e·s sont plus homogènes, leurs traductions se ressemblent davantage entre elles que celles des traducteurs·trices professionnel·le·s qui ont peut-être eu le temps de prendre de la distance avec les normes inculquées dans les écoles de traduction. Cela provient sans doute de leur expérience du monde plus limitée, et du fait qu’ils et elles ont tendance, au début de leurs apprentissages, à généraliser les règles et conseils de leurs enseignant·e·s (Göpferich 2015), or les étudiant·e·s de cette étude, puisqu’ils et elles proviennent de la même université, ont toutes et tous eu les mêmes enseignant·e·s. Reproduire cette expérience avec des étudiant·e·s d’une autre université mènerait peut-être dès lors à d’autres résultats. Nous serions aussi curieux de voir si réaliser cette étude à une plus grande échelle, pour d’autres connecteurs d’opposition, ou avec un autre type de texte, fournirait des résultats similaires ou différents de ceux présentés dans cet article.

Concluons en notant que cet article n’est que la première étape dans l’étude des différences qui peuvent exister entre des traducteurs·trices novices et des professionnel·le·s. En effet, s’il démontre l’existence de telles différences, il ne se penche pas (encore) sur leurs causes. Il est probable que ces dernières soient multifactorielles, et présentent des manifestations de phénomènes comme les universaux de traduction, comme l’évitement des répétitions. Un style élégant évitant les redites (Baker 1993), il se pourrait, par exemple, que le choix d’un connecteur autre que mais pour traduire maar soit motivé par une recherche de variété et d’évitement de répétitions de traductions littérales.

Enfin, le rôle des normes et académismes n’est pas non plus à minimiser. Les étudiant·e·s, par leur posture d’apprenant·e·s en traduction, ont probablement plus de difficultés à s’en écarter que les professionnel·le·s. Ce contraste peut trouver une explication dans le fait que, vu que la plupart des étudiant·e·s souhaitent plaire à leurs enseignant·e·s (Mellgren 2020), ils et elles se conforment dès lors davantage aux normes et aux académismes dont ces mêmes enseignant·e·s sont en général les principaux·les vecteur·trice·s.

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About the author(s)

Nathanaël Stilmant is currently a fourth-year PhD student under the supervision of Gudrun Vanderbauwhede and Hanne Cardoen at the university of Mons, Belgium. His thesis is dedicated to the translation of Dutch and French contrastive markers. As an assistant, he also gives Dutch language courses and specialised Dutch-French translation courses to translation students. A summary of his latest academic and research activities can be found at: UMONS, membres du staff: Publications de Stilmant Nathanaël

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©inTRAlinea & Nathanaël Stilmant (2024).
"Opposé·e·s par les connecteurs d’opposition : une étude des traductions françaises du connecteur néerlandais maar par des étudiantes et étudiants en traduction, et des traductrices et traducteurs professionnel·le·s"
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Stable URL: https://www.intralinea.org/specials/article/2651

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