Participe passé détaché dans des romans contemporains français et leurs traductions slovènes
By Adriana Mezeg (University of Ljubljana, Slovenia)
Abstract
English:
This article deals with the use of past participles in French non-finite clauses and their translation into Slovenian. We shall focus on sentence-initial participial clauses as these are the most difficult to understand and to decode for a non-native French speaker/learner. Having a single form for three different functions, we distinguish three categories of a French past participle of verbal origin because we expect that due to their different functioning, this might influence their translation into Slovenian. The study is based on the examples extracted semi-automatically from the literary part of the FraSloK parallel corpus which comprises twelve contemporary French novels and their Slovenian translations. The present article proposes to provide answers to some questions important for the fields such as corpus linguistics, French-Slovenian contrastive syntax and translation studies, for instance about the use and utility of parallel corpora in studying complex structures such as participial clauses, about the syntactic and semantic differences/similarities between French and Slovenian literary texts, and about the translation strategies revealed, useful in the pedagogic as well as professional context.
French:
Cet article aborde l’emploi des participes passés dans des constructions détachées françaises et leur traduction vers le slovène. Nous ne traiterons que les structures détachées en position initiale, car celles-ci s’avèrent le plus difficiles à comprendre et à décoder pour un locuteur / apprenant francophone non natif. Possédant une seule forme pour trois fonctions différentes, nous distinguons trois catégories de participe passé français d’origine verbale, supposant que, en raison de leur fonctionnement différent, cela puisse influer sur leur traduction vers le slovène. L’étude porte sur les exemples extraits semi-automatiquement de la partie littéraire du corpus parallèle FraSloK, contenant douze romans contemporains français et leurs traductions slovènes. L’article se propose de répondre à quelques questions importantes pour les domaines comme la linguistique de corpus, la syntaxe contrastive franco-slovène et la traductologie, par exemple sur l’emploi et l’utilité des corpus parallèles pour la recherche des structures complexes telles que les constructions détachées, sur les différences / similitudes syntaxiques et sémantiques entre les textes littéraires français et slovènes, et sur les stratégies traductionnelles décelées, utiles dans le contexte pédagogique de même que professionnel.
Keywords: participe passé, construction détachée, traduction, explicitation, corpus parallèle, past participle, participial clause, parallel corpus
©inTRAlinea & Adriana Mezeg (2017).
"Participe passé détaché dans des romans contemporains français et leurs traductions slovènes"
inTRAlinea Special Issue: Corpora and Literary Translation
Edited by: Titika Dimitroulia and Dionysis Goutsos
This article can be freely reproduced under Creative Commons License.
Stable URL: https://www.intralinea.org/specials/article/2256
1. Introduction
Dans la langue française, lorsqu’on parle du participe passé, l’une des premières choses qui nous viennent à l’esprit est qu’il sert à former les temps composés, par exemple :
(1) Jacques est arrivé à la maison.
(2) Stéphane a regardé le match.
Or, le participe passé est une forme complexe qui peut avoir différentes valeurs et fonctions syntaxiques et figurer dans différentes structures de la phrase. Dans cette étude, nous abordons les participes passés français employés sans auxiliaire dans les structures que nous appelons, d’après Combettes (1998), détachées. Ses caractéristiques principales sont : a) la séparation du reste de la phrase par une ponctuation non finale à l’écrit ; b) la prédication seconde, ce qui veut dire que le prédicat (sous forme d’un gérondif, d’un participe présent ou d’un participe passé)[1] instaure avec le sujet (plus rarement avec l’objet ou un autre actant) de la proposition principale une relation identique à celle dans la prédication principale ; c) la relation de coréférence entre le prédicat de la phrase détachée et le sujet de la proposition principale (Combettes 1998 : 10-13). Nous ne nous concentrons que sur les structures ayant comme noyau un participe passé et figurant au tout début d’une phrase, car celles-ci semblent être le plus difficiles à décoder pour un locuteur francophone non natif. Prenons un exemple :
(3) Assise au bord du lac, Marie réfléchit sur son futur.
Ce qui pose problème pour un locuteur slovène au niveau de la compréhension et de la traduction du français vers le slovène, c’est le fait que le sujet n’est pas explicitement indiqué (par exemple sous forme d’un pronom ou d’un groupe nominal) dans la structure de surface et que la relation sémantique entre la structure détachée et la proposition principale (par exemple temporelle ou explicative, comme dans (3)) reste implicite en raison des connecteurs non-exprimés. En outre, cette relation est parfois difficile à établir (comme dans (3)), ce qui nous oblige à prendre en considération le contexte le plus large et à utiliser tout notre savoir (extra)linguistique pour arriver à une interprétation correcte.
Bien que la langue slovène connaisse les structures détachées, elles semblent être d’un emploi rare[2] et ont l’air archaïque dans les textes écrits contemporains, ainsi supposons-nous que lors de la traduction du français, nous avons tendance à les exprimer en slovène par d’autres structures syntaxiquement et sémantiquement plus explicites, plutôt qu’à les garder. En effet, selon Breznik (1967 : 82-94), il s’agirait d’une structure romane entrée dans la langue slovène par la traduction d’ouvrages littéraires français du début du XXème siècle (par exemple écrits par Flaubert, Zola, Anatole France). D’après lui (1967 : 94), la structure détachée est peu naturelle dans la syntaxe slovène où il est primordial que toute phrase contienne un verbe.[3] Ainsi sera-t-il intéressant de vérifier quel est le taux de structures détachées dans les textes sources français et dans les traductions slovènes de notre corpus.
Le présent article comporte, dans un premier temps, une partie théorique où nous discutons le participe passé français et proposons trois types selon leurs fonctions, qui peuvent former une structure détachée : le participe passé qui, à l’actif, désigne une action, le participe passif et le participe d’état. Cette distinction nous aidera lors de la classification des exemples sources et cibles et nous permettra à discerner les différences et similitudes dans les traductions slovènes. Ensuite, nous présentons le corpus de travail, constitué de douze romans contemporains français et de leurs traductions slovènes, ainsi que le processus et les résultats de l’extraction semi-automatique des structures détachées comportant un participe passé du corpus en question.
Dans un second temps, nous analysons les traductions slovènes du point de vue syntaxique et sémantique pour voir comment les traducteurs ont rendu en slovène les structures détachées françaises. Nous concluons l’article en essayant de répondre aux questions que soulève cette recherche, notamment sur l’emploi et l’utilité des corpus parallèles pour la recherche des structures complexes telles que les constructions détachées, sur les différences / similitudes syntaxiques et sémantiques entre les textes littéraires français et slovènes, et sur les stratégies traductionnelles révélées, utiles dans le contexte pédagogique de même que professionnel.
2. Le participe passé en français
Comme nous l’avons mentionné dans la partie introductoire, une construction détachée peut se former autour d’un gérondif, un participe présent, un participe passé, un nom ou groupe nominal, ou bien un adjectif. Pour les fins de cette étude, nous avons décidé de nous pencher sur les structures comportant un participe passé, car cette forme grammaticale se révèle intéressante pour ses différentes valeurs et fonctions, comme nous allons voir dans la suite.
En français, le participe passé possède deux formes :
– une forme simple : elle est constituée du radical verbal auquel on ajoute différentes désinences : -é pour les verbes du 1er groupe, -i pour ceux du 2ème groupe et -é, -i, -u, -t, -s et -ert pour les verbes du 3ème groupe. Dans une structure détachée, la forme simple du participe passé peut être précédée par un adverbe (comme trop, très), une conjonction (comme mais) ou un pronom (comme lui) et s’accorde avec le sujet de la proposition principale en genre et en nombre ;
– une forme composée : elle est constituée du participe présent du verbe avoir (ayant) ou être (étant) et de la forme simple du participe passé (par exemple ayant trouvé, étant sorti(e)(s)). Dans le cas du verbe être, le participe passé s’accorde avec le sujet en genre et en nombre ; on l’utilise avec les verbes perfectifs qui expriment un mouvement (par exemple ayant fini, étant sorti) ou avec les verbes pronominaux (par exemple m’étant souvenu) (Riegel, Pellat et Rioul 1999 :252). La forme composée du participe passé peut être précédée par un adverbe (comme ne, puis), une conjonction (par exemple et, mais) ou un pronom (comme se, me, le). Elle exprime une action accomplie, l’antériorité par rapport au verbe principal.
Dans notre recherche, nous prendrons en considération tous les participes passés de notre corpus ayant une origine verbale, sinon on pourrait classifier certains parmi les constructions détachées adjectivales, car dans une structure détachée, ils peuvent exprimer l’état après une action accomplie ou une caractéristique, et non une action, par exemple :
(4) Pierre a surpris Tania. (action) / Surprise, Tania ne savait que répondre. (état)
Cela nous paraît important pour l’extraction des structures détachées de notre corpus où les mots sont annotés en parties du discours. Comme les outils d’annotation morphosyntaxique peuvent être source d’erreurs, une classification manuelle s’avère nécessaire après l’extraction automatique pour assurer qu’on a saisi les exemples convenables.[4]
Le participe passé français peut avoir deux valeurs, verbale et adjectivale. On parle de la valeur adjectivale quand le participe passé fonctionne comme un attribut du sujet (par exemple Tania est surprise.) ou une épithète (par exemple une fille surprise), et de la valeur verbale quand il « exprime un procès au passif avec un complément d’agent (Ma voiture a été révisée par le garagiste) ou quand il constitue la forme composée d’un verbe actif (Il est arrivée en retard) » (Riegel, Pellat et Rioul 1999 : 344).
Par conséquent, dans notre recherche, nous classifions les participes passés français constituant le noyau d’une construction détachée dans trois groupes selon leurs fonctions :
a) le participe passé : dans la voix active, il exprime une action accomplie (d’habitude l’antériorité comme dans (5) et (6)) et a donc une fonction verbale. Ce groupe réunit les exemples de la forme composée du participe passé (exemple (5)) et ceux de la forme simple qui constituent les temps composés avec l’auxiliaire être (par exemple accouru, arrivé, devenu, resté). Les constructions détachées contenant l’une ou l’autre forme correspondent à une proposition subordonnée et possèdent une valeur circonstancielle, le plus souvent temporelle, comme c’est évident dans (5a) et (6a) :
(5) Ayant fini son travail, Paul est parti à la maison.
(5a) Quand Paul avait fini son travail, il est parti à la maison.
(6) Arrivée à la maison, Claire s’est tout de suite mise à cuisiner.
(6a) Quand Claire est arrivée à la maison, elle s’est tout de suite mise à cuisiner.
Quand le participe passé exprime l’antériorité, il se trouve toujours en position initiale (Rossi-Gensane 2009 : 188) et exprime une action accomplie par rapport au verbe principal (Riegel, Pellat et Rioul 1999 : 343). Les participes passés exprimant la simultanéité sont rares : dans ce cas-là, ils dénotent le plus souvent un état transitoire qui dure ou a duré au moment de l’action de la proposition principale (Havu 2002 : 5).
b) le participe passif : il exprime le résultat au passif et a une fonction verbale.[5] Dans la structure de surface, le complément d’agent peut être exprimé (introduit par par ou de) ou non[6] :
(7) Ma voiture a été révisée par le garagiste. / Révisée par le garagiste, ma voiture…
c) le participe d’état : exprime une propriété ou une caractéristique transitoire du référent (par exemple déçu, fatigué, connu), ou bien un état qui découle de l’achèvement d’une action (Riegel, Pellat et Rioul 1999 : 438-439) :
(8) Fatigué, Antoine ne va pas sortir.
Lorsque la forme passive du participe passé (par exemple couvert, engourdi) exprime une caractéristique ou l’état, la valeur adjectivale efface la valeur verbale (1999 : 343-344). Riegel, Pellat et Rioul (1999 : 343, 438) placent le participe d’état passif, qui est le résultat d’une action accomplie, dans le même groupe que le participe passif qui exprime une action (ils l’appellent le passif action). Comme le premier possède une valeur adjectivale et le deuxième une valeur verbale, nous les traiterons à part, car nous supposons que l’analyse des traductions slovènes puisse montrer les différences entre les deux types.
3. Méthodologie
3.1 Corpus de travail
Notre recherche est basée sur les exemples authentiques tirés du corpus parallèle français-slovène FraSloK (Mezeg 2010), plus précisément de sa partie littéraire, constituée de douze romans français contemporains, parus entre 1989 et 2006,[7] et de leurs traductions en slovène, publiées entre 1997 et 2008. Notre corpus de travail comprend 1 302 911 mots (dont 701 715 la partie française et 601 196 la partie slovène). Il représente, à ce jour, le seul corpus littéraire existant pour la combinaison linguistique français-slovène. Les textes ont été alignés au niveau phrastique par le logiciel ParaConc (Barlow 2001) et étiquetés morphosyntaxiquement – la partie française par l’étiqueteur TreeTagger (Schmid 1994) et la partie slovène par l’étiqueteur ToTale (Erjavec, Ignat, Pouliquen et Steinberger 2005).
3.2 Repérage (semi-)automatique des constructions détachées contenant un participe passé
Faute d’outils permettant l’étiquetage automatique au niveau de types de phrases et de fonctions grammaticales, la tâche du repérage automatique des structures complexes, telles que les constructions détachées, s’avère assez ardue et d’autant plus compliquée en raison des critères très restrictifs de ce qui constitue une construction détachée (la place dans la phrase, l’ellipse du sujet et d’une forme verbale personnelle dans la structure de surface, le participe passé pouvant être précédé d’un adverbe ou d’une conjonction, etc. En effet, comme le constatent déjà Benzitoun et Caddeo (2005 : 307), il est « difficile d’élaborer des requêtes à partir des critères définitoires de l’apposition[8] en vue d’une automatisation des recherches »,c’est pourquoi il n’est pas surprenant que la majorité des recherches sur les structures détachées se penchent sur les exemples repérés de manière manuelle.[9]
Pour les fins de cette étude, les exemples de constructions détachées initiales françaises formées autour d’une forme simple ou composée du participe passé ont été repérés automatiquement du corpus FraSloK par le logiciel ParaConc à l’aide de patrons syntaxiques, composés d’étiquettes morphosyntaxiques et d’expressions régulières. Bien que les patrons utilisés se soient révélés productifs, le processus de repérage automatique a apporté de nombreuses occurrences erronées qui se sont glissées parmi les résultats à cause d’étiquettes fautives et parce qu’elles ne constituaient pas une structure détachée, comme l’a révélé l’analyse manuelle laborieuse des exemples extraits.
Prenons comme exemple l’un des 11 patrons utilisés :
(<w R>[A-Z]\w+(\W<w R>\w+){0,2}\W<w Gdr>\w+|<w Gdr>[A-Z]\w+)
Ce patron cherche tous les participes passés simples (étiquette Gdr) figurant au tout début de la phrase ou précédé de 0 à 2 adverbes (étiquette R), par exemple :
(9) Ralentis par la charge, ils mirent beaucoup de temps à regagner Port Radium. (LIT003-FRA)[10]
(10) Trop souvent mobilisée pour des tâches policières dans les territoires palestiniens occupés, l'armée n'a pas été préparée à la guerre, […]. (LMD015-FRA)[11]
Il s'est révélé le plus productif de tous les patrons, apportant 72 % (520 exemples) de toutes les constructions détachées ayant comme noyau un participe passé. Les occurrences erronées s’élevaient à moins de 30 % et étaient dues à des raisons déjà indiquées plus haut : étiquettes fautives (par exemple vu (exemple 11) et (bien) entendu étiquetés comme participes passés), des noms dont la forme égale celle d’un participe passé, étiquetés comme participes passés (par exemple passé (exemple (12)), député, parti)), et lorsque le participe passé ne figure pas dans une structure détachée (comme dans (13) où il est employé dans une phrase simple à l’impératif) :
(11) *Vu l'apparence de cette femme, c’est ce qui surprend le plus. (LIT003-FRA)
(12) *Passé et passif des universités américaines (LMD046-FRA)[12]
(13) As-tu vraiment besoin de moi ? *Réfléchis bien ! (LIT012-FRA)
Après le tri manuel, il nous est resté 723 exemples de constructions détachées contenant un participe passé,[13] extraits de la partie littéraire du corpus FraSloK. Les exemples de la forme composée du participe passé sont très peu nombreux (26 occurrences ou 3,6 % contre 697 occurrences ou 96,4 % de la forme simple du participe passé).
3.3 Emploi des constructions détachées contenant un participe passé dans les romans français du corpus
Si l’on prend en considération le corpus littéraire dans sa totalité, il apparaît en moyenne 1 structure détachée sur 1000 mots. Or, nous voulions aussi vérifier quelle est la fréquence des constructions détachées contenant un participe passé dans des romans français individuels de notre corpus. Comme le montre le tableau 1, la répartition n’est pas équilibrée. En effet, 40 % de toutes les structures détachées sont utilisées dans le roman Impératrice de Shan Sa, où l’on trouve environ 5 constructions détachées sur 2000 mots. Deux autres romans ressortent encore selon la fréquence, notamment Le ventre de l'Atlantique de Diome Fatou qui contient 14 % de toutes les structures détachées ou bien 3,3 constructions détachées sur 2000 mots, et Je m'en vais de Jean Echenoz (10 % de toutes les constructions détachées, 2,9 constructions détachées sur 2000 mots). Pour ce qui est la durée d'un texte, le roman Un sécret de Philippe Grimbert ressort encore de la moyenne avec 3,6 constructions détachées sur 2000 mots. Les autres romans contiennent moins de 10 % de toutes les constructions détachées. En plus, la fréquence de constructions détachées sur 2000 mots est plus basse de la moyenne, ce qui nous amène à conclure que dans les textes littéraires français contemporains, l'emploi d'une structure détachée comprenant un participe passé dépend significativement du style de l'auteur.
Roman |
No de CD[14] |
Taux par rapport au nombre total de CD |
Nombre de CD par 2000 mots |
Fou de Vincent (Hervé Guibert, 1989, Éditions de Minuit) – LIT001 |
3 |
0,4 % |
0,4 |
Un secret (Philippe Grimbert, 2004, Éditions Grasset & Fasquelle) – LIT002 |
47 |
6,5 % |
3,6 |
Je m'en vais (Jean Echenoz, 1999, Éditions de Minuit) – LIT003 |
72 |
10,0 % |
2,9 |
Balzac et la petite tailleuse chinoise (Dai Sijie, 2000, Éditions Gallimard) – LIT004 |
36 |
5,0 % |
1,5 |
Truismes (Marie Darrieussecq, 1997, P.O.L. Éditeur) – LIT005 |
1 |
0,1 % |
0,05 |
Eldorado (Laurent Gaudé, 2006, Actes Sud) – LIT006 |
2 |
0,3 % |
0,08 |
Mammifères (Pierre Mérot, 2003, Éditions Flammarion) – LIT007 |
12 |
1,7 % |
0,5 |
Le ventre de l'Atlantique (Fatou Diome, 2003, Éditions Anne Carrière) – LIT008 |
102 |
14,1 % |
3,3 |
Plateforme (Michel Houellebecq, 2001, Éditions Flammarion) – LIT009 |
33 |
4,6 % |
0,7 |
Le testament français (Andreï Makine, 1995, Éditions Mercure de France) – LIT010 |
66 |
9,1 % |
1,6 |
Impératrice (Shan Sa, 2003, Éditions Albin Michel S.A.) – LIT011 |
287 |
39,7 % |
5,3 |
L'Amour du prochain (Pascal Bruckner, 2004, Éditions Grasset & Fasquelle) – LIT012 |
62 |
8,6 % |
1,5 |
total |
723 |
100 % |
/ |
Tableau 1 : Répartition des constructions détachées contenant un participe passé dans des romans français individuels du corpus FraSloK.
4. Analyse syntaxique et sémantique des traductions slovènes
Après le repérage semi-automatique, les participes passés ont été classés dans l’une des trois catégories selon leur fonction ou valeur. Comme le montre le graphique 1, les participes d’état sont les plus représentés, figurant dans plus de la moitié des exemples extraits (410 exemples ou 56,7 %) ; les participes passifs sont utilisés dans presque un tiers des structures détachées (231 exemples ou 32 %), tandis que les participes passés qui constituent la forme composée du participe passé ou forment les temps composés avec l’auxiliaire être sont les moins fréquents (82 exemples ou 11,3 %).
Graphique 1 : Fréquence des différents types de participes passés dans les constructions détachées françaises du corpus littéraire FraSloK.
Toutes les traductions slovènes ont ensuite été analysées, d’un côté, syntaxiquement pour voir par quelles structures grammaticales les traducteurs ont exprimé les structures détachées comprenant l’un des trois types de participes passés, et, de l’autre côté, sémantiquement pour vérifier si en slovène, le rapport logique entre le contenu de la structure détachée et le reste de la phrase reste implicite comme dans la langue source ou bien s’il est précisé.
4.1 Analyse syntaxique
La graphique 2, qui résume l’analyse syntaxique des traductions slovènes, montre des différences assez notables entre les trois catégories.
Graphique 2 : Répartition d’équivalents syntaxiques slovènes des constructions détachées françaises selon le type de participe passé.
Pour ce qui est la catégorie ‘participe passé’, la grande majorité (61 exemples de 82 ou 74,4 %) est exprimée en slovène par une forme verbale personnelle, utilisée dans une proposition subordonnée, ce qui n’est pas surprenant car à l’actif, il exprime en français une action verbale. Dans la majorité des traductions, son contenu est exprimé par le participe en -l (celui-ci correspond à cette catégorie de ‘participe passé’ français) qui sert à former le temps passé,[15] prédominant dans notre corpus dans les traductions de ce type de participe passé :
(14) Arrivé à ma hauteur, son porteur voulut faire une halte, et posa la chaise sur un rocher carré. (LIT004-FRA)
(14a) Ko je nosač prišel do mene, si je hotel malo oddahniti in je postavil stol na ploščato skalo. (LIT004-SLV) [Quand le porteur est arrivé à ma hauteur, il voulut…]
Nous observons le même pour la deuxième plus fréquente stratégie où le contenu du participe passé est exprimé en slovène par une forme verbale personnelle dans une phrase coordonnée (12 exemples ou 14,6 %). Les autres relations phrastiques et fonctions syntaxiques sont quasi inexistantes.
Quant aux constructions détachées contenant un participe passé au passif suivi d’un complément d’agent, le participe passif lui aussi est le plus souvent exprimé en slovène par une forme verbale personnelle au passé (le participe en -l) dans une proposition subordonnée (77 exemples de 231 ou 33,3 %), plus rarement dans une phrase coordonnée (29 exemples ou 12,5 %, exemple (15a)), à la voix active :
(15) Harcelée par leur solitude, j’étais davantage obsédée par l’absence de ce frère. (LIT011-FRA)
(15a) Bolj ko so me nadlegovale s svojimi zahtevami, bolj me je obsedala prijateljeva odsotnost.(LIT011-SLV) [Plus elles me harcelaient avec leurs demandes, plus j’étais obsédé…]
Dans quasi un tiers des traductions (catégorie ‘fonctions syntaxiques’, 63 exemples ou 27,3 %), le contenu de participes passifs est rendu en slovène soit par un groupe nominal prépositionnel ayant la fonction d’un complément circonstanciel (surtout de manière, comme dans (16a)), soit par un participe en -n ou en -t ayant la fonction d’un attribut de l’objet (exemple (17a)) ou bien par un participe en -n et en -č (plus rarement par un adjectif) fonctionnant comme une épithète (cette fonction est d’ailleurs moins présente que la fonction de l’attribut de l’objet). Lors des traductions slovènes, comme c’est le cas dans (17a), nous notons qu’il est souvent difficile de distinguer la passivité de l’état après une action accomplie (les deux peuvent être exprimés par le participe en -n ou en -t) :
(16) Maintenant, incité par des hommes ambitieux, ton frère la réclame. (LIT011-FRA)
(16a) Zdaj jo pod vplivom častihlepnežev zahteva tvoj brat. (LIT011-SLV) [littéralement : *Maintenant la sous l’influence des hommes ambitieux réclame ton frère. / dans l’ordre de mots français correct : Maintenant ton frère la réclame sous l’influence des hommes ambitieux.]
(17) Affecté par cette série de condamnations, il paraissait encore plus désarmé. (LIT011-FRA)
(17a) Prizadet zaradi vrste obsodb se je zdel še bolj nebogljen. (LIT011-SLV) [Affecté par cette série de condamnations il paraissait…]
Reste à mentionner encore deux stratégies qui couvrent un peu plus de 10 % d’exemples de participes passifs : la rétention de la structure détachée (le plus souvent participiale) en slovène (29 exemples ou 12,5 %) et l’emploi d’une forme verbale personnelle dans une phrase juxtaposée (exemple (18a)) ou, rarement, une phrase simple :
(18) Trompé par une fioriture inattendue de l’orchestre, je fis une fausse manœuvre et ma poitrine s’aplatit contre la sienne. (LIT010-FRA)
(18a) Zmotili so me nepričakovani dodatni takti orkestra, naredil sem napačen korak in moje prsi so se združile z njenimi. (LIT010-SLV) [Des mesures supplémentaires inattendues de l’orchestre m’ont trompé, je fis un faux pas et…]
Le plus représenté des trois types de participes passés traités, le contenu du participe d’état est dans plus d’un tiers des traductions slovènes (163 exemples de 410 ou 39,7 %) exprimé par un participe d’état en -l, -n ou -t ayant en majorité la fonction d’un attribut de l’objet[16] (60 %, exemple (19a)), moins fréquemment d’une épithète, le plus souvent antéposée au nom (20 %, exemple (20a)), tandis que les autres fonctions syntaxiques (complément circonstanciel, sujet, objet) sont rares :
(19)Penchés par-dessus la rampe, nous écarquillions les yeux en essayant de voir le plus de ciel possible. (LIT010-FRA)
(19a)Nagnjena nad ograjo sva napenjala oči, da bi videla čim več neba. (LIT010-SLV)
(20) Embarrassé, l’Empereur tapa le sol du pied et regarda autour de lui. (LIT011-FRA)
(20a) Osramočeni cesar je nekajkrat z nogo potrkal ob tla in se ozrl okoli sebe. (LIT011-SLV) [L’Empereur embarrassé tapa le sol…]
Comme s’est évident à partir du graphique 2 ci-dessus, les structures détachées sont le plus retenues dans le cas des participes d’état où c’est la deuxième stratégie la plus fréquente (110 exemples ou 26,8 % ; cela représente 78,6 % de toutes les structures détachées retenues ayant comme noyau l’un de nos trois types de participe passé). En majorité de nature participiale (exprimés par un participe en -n, -t, -l, moins souvent en -č), la moitié des participes détachés slovènes gardent leur position périphérique au début de la phrase (exemple (21a)), l’autre moitié étant placée après le groupe sujet :
(21) Absorbé dans ses pensées, il s’était arrêté machinalement sans saluer. (LIT008-FRA)
(21a) Zatopljen v svoje misli, se je bil avtomatično ustavil brez pozdrava. (LIT008-SLV)
D’après l’analyse, trois traductions slovènes se détachent par rapport au nombre de constructions détachées retenues : la traduction du roman Impératrice (en slovène Cesarica, 37 % de toutes les structures détachées), L’Amour du prochain (en slovène Ljubezen do bližnjega, 21 %) et Le ventre de l'Atlantique (en slovène Trebuh Atlantika, 14 %). Il est intéressant de noter que plus de la moitié des structures détachées retenues gardent la place initiale dans la phrase. Dans les autres traductions, la rétention de ces structures est rare.
Dans seuls environ 10 % d’exemples, le contenu des participes d’état est exprimé en slovène par une forme verbale personnelle (le participe en -l) ou un attribut du sujet (souvent le participe d’état en -n ou en -t) dans une phrase subordonnée (41 exemples ou 10 %), coordonnée (51 exemples ou 12,4 %) ou autre (juxtaposée, simple ou complexe ; 36 exemples ou 8,8 %). Lorsqu’il est exprimé par une forme verbale personnelle, l’état du texte source devient en slovène une action (accomplie, comme dans (22a)) :
(22) Guérie, je ne pus plus me déplacer sans assistance. (LIT011-FRA)
(22a) Ko sem ozdravela, nisem mogla več hoditi brez pomoči. (LIT011-SLV) [Lorsque j'ai guéri, je ne pus plus…]
Pour résumer, mis à part les catégories ‘construction détachée’ et ‘omission’ (celle-ci concerne très peu d’exemples), l’explicitation syntaxique est bien évidente dans les trois catégories : elle s’élève à 98 % dans le cas des participes passés exprimant l’action à l’actif, à 84 % dans le cas des participes passifs et à 71 % dans le cas des participes d’état.
4.2 Analyse sémantique
Comparé avec les exemples sources, dans la majorité des traductions des constructions détachées contenant l’un des trois types de participes passés, son contenu est exprimé dans une phrase à forme verbale personnelle, le rapport logique qui s’instaure entre le contenu d’une structure détachée et le reste de la phrase étant explicité.
Le graphique 3 résume la nature des rapports logiques dans les traductions slovènes :
Graphique 3 : Répartition des rapports logiques exprimés dans les traductions slovènes.
Dans les traductions slovènes, l’explicitation du rapport sémantique entre le contenu d’une structure détachée française et le reste de la phrase ne peut être observée que dans le cadre des catégories ‘Subordination’, ‘Coordination’ et ‘Fonctions syntaxiques’, le rapport étant ailleurs, comme dans la langue source, implicite ou non précisé. L’interprétation sémantique des constructions détachées dépendant de nombreux facteurs (par exemple du contexte inter- et extraphrastique, de nos connaissances linguistiques et extralinguistiques), l’analyse et l’argumentation des décisions des traducteurs requerraient une discussion sérieuse dépassant le cadre de cet article, c’est pourquoi nous ne proposons qu’un aperçu rapide de la nature des rapports logiques précisés dans les traductions slovènes du corpus littéraire FraSloK.
Premièrement, d’après l’analyse, les participes passés qui constituent la forme composée ou bien simple avec l’auxiliaire être à l’actif se différencient de deux autres catégories traitées, traduisant en majorité la valeur circonstancielle par la forme verbale personnelle dans une subordonnée (65,9 %) : dans 70 % d’exemples, elle est temporelle, exprimée par le connecteur ko (quand / lorsque, exemple (23a)), suit la valeur causale avec 14,8 %, tandis que les autres valeurs circonstancielles ne sont quasi pas présentes. En deuxième place vient la valeur descriptive ou explicative qui apporte une information supplémentaire sur le référent ou exprime son état ou caractéristique en relation avec l’action principale. Elle s’instaure majoritairement quand il n’est pas possible d’établir une relation sémantique spécifique entre une construction détachée et le reste de la phrase (Combettes 2005 : 34). Cette valeur se traduit d’habitude dans notre corpus littéraire par une proposition subordonnée relative introduite par ki (qui). Nous constatons que des fois, la valeur explicative est exprimée dans certaines traductions slovènes, alors que le contexte de l’exemple source permet aussi une autre interprétation, par exemple causale, comme dans l’exemple (24)-(24b). En effet, en français, plusieurs interprétations sont souvent possibles, tandis qu’en slovène, lorsqu’une structure détachée n’est pas retenue dans le texte cible et qu’il n’y ait pas assez d’éléments dans le texte source pour déterminer quelle valeur l’emporte, le traducteur doit choisir une valeur, c’est pourquoi l’explicitation sémantique n’est fréquemment qu’une parmi toutes les interprétations possibles et relève du choix subjectif d’un traducteur. Pour conclure, l’explicitation sémantique prédomine (93 %), le taux des exemples implicites étant minime (7 %).
(23) Arrivé à Québec, Ferrer prit un taxi de marque Subaru en direction du port, département des garde-côtiers, môle 11. (LIT003-FRA)
(23a) Ko je Ferrer prišel v Québec, se je s taksijem znamke Subaru odpeljal proti pristanišču, območje obalne straže, pomol 11. (LIT003-SLV) [Lorsque Ferrer arriva à Québec, il prit…]
(24) Ayant déjà eu recours deux ou trois fois à ses services, Ferrer le connaissait un peu, cet expert. (LIT003-FRA)
(24a) Ferrer, ki ga je nekajkrat že prosil za usluge, ga je že malo poznal, tega izvedenca. (LIT003-SLV) [Ferrer, qui avait déjà demandé quelquefois ses services, le connaissait…]
(24b)[17] Ker ga je Ferrer že nekajkrat prosil za usluge, ga je že malo poznal … [Comme Ferrer avait déjà demandé quelquefois ses services, il le connaissait…]
Deuxièmement, le corpus de participes passifs, quant à lui, témoigne d’une répartition assez homogène des rapports dans les traductions slovènes. En effet, le taux des exemples ayant une valeur explicative (37,7 %) ou circonstancielle (35,5 %) est presque le même, tandis que la fréquence des exemples gardant le rapport implicite comme dans le texte source est légèrement inférieure (26,8 %). Parmi les valeurs circonstancielles que traduisent surtout les formes verbales personnelles et les compléments circonstanciels, la valeur de temps l’emporte doucement sur les valeurs de manière (exemple (25)) et de cause.
(25) Suivie par une dizaine de servantes et de femmes d’atour, elle s’effaça entre les arbres. (LIT011-FRA)
(25a) V spremstvu deseterice služabnic in spletičen je izginila med drevesi. (LIT011-SLV) [En compagnie d’une dizaine de servantes et de femmes d’atour elle disparut entre les arbres.]
La valeur explicative, quant à elle, est portée par les attributs de l’objet et les épithètes qui qualifient le sujet, ainsi que par les formes verbales personnelles dans une phrase subordonnée ou, moins fréquemment, coordonnée (exemple (26a)). En fin de compte, attestée dans 73 % des traductions des participes passifs, l’explicitation sémantique l’emporte sur l’implicitation.
(26) Unis par la détresse, ils étaient devenus inséparables. (LIT011-FRA)
(26a) Huda žalost ju je zbližala in postala sta nerazdružljiva. (LIT011-SLV) [La détresse les avait unis et ils étaient devenus inséparables.]
Enfin, dans les traductions slovènes des constructions détachées comprenant un participe d’état prédomine la valeur explicative (45,9 %) sous forme d’un participe ayant la fonction d’un attribut de l’objet ou d’une épithète (exemple (27a)) ou, plus rarement, d’une forme verbale personnelle dans une phrase subordonnée ou coordonnée.
(27) Surpris, les moines se rendirent sans hésiter. (LIT011-FRA)
(27a) Presenečeni menihi so se brez odlašanja vdali. (LIT011-SLV) [Les moines surpris se rendirent sans hésiter.]
Dans plus d’un tiers des exemples (37,8 %), on constate que le rapport logique reste opaque comme dans la langue source, surtout en raison du grand nombre de constructions détachées retenues. Néanmoins, l’explicitation sémantique prévaut, s’élevant à 62,2 %.
Contrairement aux autres types de participes passés traités, la valeur circonstancielle est le moins attestée dans les traductions des participes d’état (16,3 %). Le participe d’état français est, dans ces exemples, d’habitude rendu en slovène par une forme verbale personnelle dans une phrase subordonnée ou coordonnée, ce qui signifie que l’état français se transforme en slovène en une action, comme le montre l’exemple suivant :
(28) À cet instant, coincé au milieu du passage, je me demandai ce que dirait le vieux Jean-Christophe, si je faisais volte-face. (LIT004-FRA)
(28a) Ko sem takole čepel sredi grebena, sem se vprašal, kaj bi rekel Jean-Christophe, če bi odnehal. (LIT004-SLV) [Lorsque je me tenais accroupi au milieu du passage, je me demandai…]
La partie slovène portant le contenu de la construction détachée française entretient le plus souvent avec le reste de la phrase un rapport de temps (exemple (28a))[18] ou de manière, des fois aussi de lieu et de cause, les autres rapports étant très rares.
5. Remarques conclusives
Le présent article a apporté une étude contrastive comparant l’emploi des structures détachées formées autour d’un participe passé dans des romans français contemporains et leurs traductions en slovène. Nous avons examiné uniquement les structures figurant au tout début de la phrase qui, vu leurs caractéristiques syntaxiques particulières et leur opacité sémantique dans la structure de surface, semblent être le plus problématiques pour un locuteur non francophone.
Notre décision initiale de distinguer entre les trois types de participes passés, issue de la supposition qu’ils puissent, en raison de leur nature et leurs fonctions / valeurs différentes, entraîner des différences importantes dans les traductions slovènes, s’est avérée judicieuse. Globalement, l’analyse a montré l’explicitation syntaxique et sémantique dans la majorité des traductions de trois types de participe passé, les deux étant le plus élevées dans le cas de participes passés désignant une action à l’actif (98 % et 93 % respectivement), suivent les participes passifs (84 % et 73 % respectivement) et les participes d’état (71 % et 62 % respectivement).
Désignant une action à l’actif, les participes passés français gardent majoritairement leur fonction verbale en slovène, véhiculée pour la plupart par une forme verbale personnelle dans une proposition subordonnée de temps ou de cause. Quant aux participes passifs, la moitié est exprimée en slovène par une forme verbale personnelle à l’actif, dans une phrase subordonnée ou, moins rarement, coordonnée, et garde ainsi sa valeur verbale, le participe passif n’étant retenu que dans un cinquième des traductions slovènes, ce qui nous amène à conclure que le passif est plus fréquent en français qu’en slovène. En ce qui concerne les rapports sémantiques, nous constatons une homogénéité importante des trois catégories : la valeur explicative que portent les participes jouant le rôle d’un adjectif qualificatif (37,7 %), la valeur circonstancielle (le plus souvent de temps, de manière et de cause) portée par les prédicats dans des phrases actives (35,5 %), et l’opacité sémantique suite aux structures détachées gardées en slovène et les relations phrastiques non explicitées (26,8 %). Enfin, les participes d’état sont maintenus dans une moitié des traductions slovènes (par exemple sous forme d’un attribut de l’objet, une épithète), gardant ainsi leur valeur adjectivale, tandis que dans un cinquième d’exemples, ils sont exprimés par une forme verbale personnelle, signifiant que l’état du texte source devient une action en slovène. Sémantiquement, prédomine la valeur explicative ou descriptive portée par les participes retenus (45,9 %), concurrencée par l’implicitation suite au grand nombre de structures détachées maintenues en slovène (37,8 %). Non surprenant vu le petit nombre d’exemples témoignant d’une valeur verbale, la valeur circonstancielle (traduisant le temps, la manière, le lieu et la cause) est le moins attestée (aussi si on prend en considération les trois types de participes passés).
L’extraction semi-automatique nous a apporté 723 exemples de constructions détachées dans 12 romans contemporains, celles contenant un participe d’état (56,7 %) l’emportant sur celles comprenant un participe passif (32,0 %) et un participe passé ‘actif’ (11,3 %). Dans l’ensemble, la structure détachée est retenue dans moins de 20 % de traductions slovènes, en majorité dans le cas de participes d’état (78,6 % de toutes les structures détachées extraites). Selon l’analyse, l’emploi de ces structures ne ressort que dans trois romans français (surtout dans Impératrice qui en contient 40 %), ce qui nous conduit à constater que dans le registre littéraire français, l’emploi des constructions détachées dépend du style de l’auteur. Par conséquent, le nombre de structures retenues dans une traduction peut aussi dépendre de la quantité de telles structures dans le texte source, ce qui est le cas dans notre corpus où les traductions de mêmes trois romans français se détachent, conservant ainsi le style du texte source. D’ailleurs, il serait nécessaire d’examiner dans le futur l’emploi des structures détachées dans les textes slovènes authentiques pour évaluer l’influence de la langue source sur la langue de traduction.
La méthode de l’extraction informatique des constructions détachées du corpus s’est avérée laborieuse, d’un côté en raison du processus complexe de l’élaboration des patrons syntaxiques, c’est pourquoi elle est plus adéquate pour la recherche des mots individuels que des structures complexes. De l’autre côté, lors de l’analyse manuelle, nous avons fait face au problème d’étiquetage automatique des mots français suite aux étiquettes fautives attribuées à certains ‘participes passés’, présentant ainsi de nouveaux défis pour les chercheurs du domaine de traitement automatique du langage naturel. Cela mis à part, le corpus littéraire utilisé, d’autant plus grâce à son étiquetage en parties du discours, représente une source riche de textes authentiques français et de leurs traductions en slovène, permettant ainsi un tas de recherches différentes et étant donc plus utile et durable des listes d’exemples d’un certain phénomène linguistique, dressées à la main.
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Notes
[1] A part une forme verbale, la prédication peut aussi se former autour d’un groupe nominal ou d’un adjectif (cf. Combettes 1998).
[2] Il n'existe pas encore, à notre connaissance, d’études portant sur l’emploi des structures détachées dans des textes slovènes authentiques contemporains.
[3] Breznik ne s'appuie pas sur des recherches concrètes mais plutôt sur son « sens de la langue ». Les autres grammaires prescriptives (par exemple de Bajec, Kolarič et Rupel 1964 : 211, 261-262, ou bien de Toporišič 2004 : 632) signalent qu’une construction détachée peut être transformée en une phrase (par exemple simple, subordonnée, coordonnée) comportant une forme verbale personnelle, mais aucune ne détermine que la phrase slovène doit obligatoirement contenir un verbe.
[4] Certaines formes peuvent, entre autres, correspondre à un participe passé et à un adjectif. Prenons comme exemple les formes déçu (du verbe décevoir) et né (du verbe naître) : dans le dictionnaire informatisé Trésor de la langue française, on trouve les formes participiale et adjectivale sous l’entrée du verbe (décevoir et naître respectivement), tandis que dans Le Nouveau Petit Robert (2008), les formes adjectivales ont une entrée indépendante (déçu et né respectivement). Les deux formes (c’est-à-dire déçu et né) sont convenables pour notre recherche en raison de leur origine verbale.
[5] Il a la même forme que le participe d’état, mais vu sa fonction différente, nous le traitons à part.
[6] On parle du passif incomplet (Riegel, Pellat et Rioul 1999 : 439). Dans grand nombre de phrases passives en français, le complément d’agent n’est pas exprimé (ibid.).
[7] Pour la liste des romans français inclus, voir le tableau 1 ci-après.
[8] Certains chercheurs appellent une construction détachée (Combettes 1998) une apposition (par exemple Neveu 1996, Forsgren 1993, 2000). Au passé, il y a eu de nombreux débats sur la dénomination de ces structures (cf., par exemple, Neveu 1996, Forsgren 1993, 2000). Nous préférons utiliser le terme de Combettes, c’est-à-dire la construction détachée, qui définit et délimite clairement la structure grammaticale et dont l’usage semble assez fréquent en linguistique française (cf. Havu 2002, Boch, Tutin et Laurent 2009, Jackiewicz, Charnois et Ferrari 2009).
[9] Le repérage automatique de certains types de constructions détachées est pourtant attesté chez Jackiewicz, Charnois et Ferrari 2009, et chez Boch, Tutin et Laurent 2009.
[10] Le code entre crochets apporte l'information d'où est pris un certain exemple. LIT003-FRA correspond au roman français numéroté de 3 (cf. Mezeg 2011, Annexe 1).
[11] Cet exemple est tiré de la partie journalistique du corpus FraSloK et n’est mentionné que pour illustrer le patron syntaxique exposé.
[12] Il s'agit d'un titre du Monde diplomatique.
[13] A cette phase, nous parlons uniquement de la forme du participe passé et ne différencions pas encore les trois types de participe passé selon leurs valeurs (cf. 4 Analyse syntaxique et sémantique des traductions slovènes).
[14] ‘CD’ signifie ‘construction détachée’.
[15] Le temps de la subordonnée dépend aussi du verbe de la proposition principale : quand celui-ci est au présent, le verbe de la subordonnée en slovène est aussi, le plus souvent, au présent : Arrivé à Toulouse en pleine nuit, Baumgartner dépose la fille devant la gare… (LIT003-FRA) En slovène : Ko Baumgartner sredi noči prispe v Toulouse, odloži dekle pred železniško postajo.(LIT003-SLV).
[16] Le plus souvent en position initiale, avant le verbe principal. Dans ce cas-là, seule une virgule non exprimée après l’attribut de l’objet différencie celui-ci d’une structure détachée. Par exemple, si dans (19a), il y avait une virgule après l’attribut de l’objet Nagnjena nad ograjo, on parlerait d’une structure détachée. En évitant la virgule, la simultanéité de l’état et de l’action principale est plus soulignée.
[17] Une interprétation possible.
[18] Dans cet exemple, le complément circonstanciel À cet instant aide à déterminer le rapport temporel.
©inTRAlinea & Adriana Mezeg (2017).
"Participe passé détaché dans des romans contemporains français et leurs traductions slovènes"
inTRAlinea Special Issue: Corpora and Literary Translation
Edited by: Titika Dimitroulia and Dionysis Goutsos
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